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Des militants de l’UNEF Lille se mutinent contre leur direction nationale et rejoignent un nouveau syndicat, l’Union Étudiante

Des militants de l’UNEF Lille se mutinent contre leur direction nationale et rejoignent un nouveau syndicat, l’Union Étudiante

Léo Ménager, secrétaire général de l'Union étudiante Lille (ex-UNEF Lille) en conférence de presse, le 5 février 2023 © Alice Gosselin

Dénonçant une organisation empoisonnée par la mainmise de la direction centrale, une partie de la section lilloise de l’UNEF et 16 autres antennes locales s’en séparent pour fusionner avec un autre syndicat, l’Alternative. L’ensemble deviendra une nouvelle formation, l’Union étudiante. L’UNEF Tacle, tendance radicale très présente à Lille, ne suit pas pour l’instant cet exode.

Comme chez les micro-organismes, dans le petit monde du syndicalisme étudiant, on ne cesse de fusionner ou de scissionner pour mieux se rassembler ensuite. En plein conflit social autour de la réforme des retraites, la tendance majoritaire au sein de l’UNEF se rebelle et quitte le navire. Elle va se fondre dans une nouvelle formation, l’Union étudiante, qui rassemblera les mutins de l’UNEF et militants d’une autre organisation, l’Alternative, elle-même issue d’une scission avec l’UNEF. Après une conférence de presse nationale mardi dernier pour annoncer la création de l’Union étudiante, préparée depuis des mois, l’UNEF Lille a officialisé son adhésion à l’Union étudiante le 5 avril.

Un nouvel espoir ?

La sédition se prépare depuis des mois, dans le plus grand secret. En utilisant le site eurodns.com, on apprend que le nom de domaine unionetudiante.fr a été déposé dès le 26 février par l’UNEF Aix-Marseille. Alors que certains médias étaient déjà dans la confidence, de nombreux militants ont appris la nouvelle le 4 avril   quand Le Monde a dévoilé l’info. L’UNEF Tacle, tendance radicale très proche du NPA qui pesait 40% au dernier congrès local à Lille, n’a par exemple pas été mise au courant, même si l’Union étudiante appelle toutes les organisations volontaires à la rejoindre. Nikolaz Richard Besche, élu au Conseil d’administration et membre de l’UNEF Tacle à Lille dit partager les critiques des dissidents envers la direction. Mais il estime qu’ils  “se servent surtout de l’argument de la démocratie interne pour ne pas porter publiquement les débats politiques qu’ils ont avec le reste de l’UNEF.L’élu étudiant n’est pas tendre avec ses anciens camarades :  “notre conception d’une réunification syndicale, c’est une réunification par la base […] pas un accord de couloir.’’ 

Jusque-là, des compromis entre la tendance majoritaire et la Tacle fixaient des zones d’influence à chaque courant : hors de question pour la “majo’’ de mettre les pieds à Pont de Bois, ou pour un trotskiste de venir tracter à Moulins. Nikolaz Richard Besche de l’UNEF Tacle minore l’impact local de l’hémorragie militante :  “seul.e.s 3 élu.e.s sur les 21 que compte l’UNEF dans les conseils de fac à Lille ont décidé de rejoindre l’Union Étudiante.”  Les dissidents revendiquent quant à eux plus de la moitié des 21 élus. Le communiqué de l’UNEF TACLE Lille, publié aujourd’hui, va jusqu’à remettre en question la légitimité des dissidents, comme Léo Ménager, ancien secrétaire général de l’UNEF Lille qui n’aurait  “jamais été élu par les adhérent.e.s”. L’intéressé dément, affirmant que  “les conseils récents étant ceux présents sur leur campus”, il a bien été élu, un vote  “reconnu par la préfecture” selon lui.

Léo Ménager explique que les dissidents ont voulu sécuriser le départ des militants” pour éviter ce qu’on appelle en jargon militant unepurge”, c’est-à-dire des sanctions allant de la rétrogradation au bannissement du syndicat. Ces mesures de rétribution décidées par le bureau national illustrent selon lui unedérive autoritaire” et une atmosphère “toxique” (le service presse de l’UNEF n’a pas répondu aux sollicitations de Pépère News).  Dans Libération, on lit qu’en octobre, la présidente de l’UNEF, Imane Ouelhadj, avait dû se mettre en retrait” après des accusations de violence, qu’elle nie. 

L’Union contre-attaque

Comme leurs militants restent seulement quelques années, les syndicats étudiants évoluent très vite, ce qui explique les changements de ligne et les fréquentes recompositions”, explique Tristan Haute. Chercheur en science politique à l’Université de Lille, il est spécialiste du syndicalisme. Longtemps hégémonique dans les facs françaises, l’UNEF est maintenant dépassée par la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), une organisation se revendiquant apolitique”. Celle-ci prend rarement position sur les questions clivantes, préférant se concentrer sur des services comme des distributions alimentaires ou de la diffusion d’infos pratiques. Léo Ménager accuse Imane Ouelhadj, présidente de l’organisation de “se croire encore à l’époque de la grande UNEF, et de refuser de regarder la réalité en face : le syndicat historique des étudiants est aujourd’hui concurrencé à la fois par des organisations corporatives aux revendications plus modérées et par des syndicats de lutte”. Selon lui, la direction nationale a manqué de volonté pour s’allier avec d’autres mouvements comme L’Alternative, alors que les deux syndicats ont quasiment le même programme”.

Unef manifestation étudiants
Des étudiants à l’Unef manifestent le 4 février 2021. © Célia Consolini / Pépère News

Accusée de ne pas défendre les droits des étudiants” , la FAGE est dans le collimateur du nouveau syndicat. Elle est depuis 2017, la première organisation étudiante de France, une domination qui se vérifie notamment au conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER). Cette institution est l’une des plus hautes instances où des étudiants peuvent intervenir. Sur les 11 sièges dédiés aux représentants des jeunes, 5 ont été capturés par la FAGE aux dernières élections en 2019, contre 2 respectivement pour l’UNEF et l’Alternative. Si leur poids reste relatif (le CNESER est une instance purement consultative), leurs subventions dépendent en partie de leur nombre de sièges au CNESER. Le but affiché de l’Union étudiante est de reprendre des places aux prochaines élections en juin, quitte à éjecter l’UNEF de l’instance, et à l’assécher financièrement. À l’Union étudiante, on refuse”  de se contenter d’être une rustine” d’un pouvoir incapable de régler le problème de la précarité étudiante. Localement on va continuer à mener des actions d’aide dans les facs, comme ce que fait la FAGE, mais ce qui nous distingue c’est qu’en plus on va essayer de peser sur les politiques pour changer les choses”, expose Léo Ménager. 

Le retour de l’UNEF ?

S’ils s’en détachent aujourd’hui, les dissidents de l’UNEF se réclament toujours de son héritage. Les revendications restent les mêmes : création d’une allocation autonomie égale au seuil de pauvreté (environ 1.100 euros par mois), fin de la sélection à l’université, création de milliers de places supplémentaires dans les facs. Ce qui conduit l’ancien secrétaire général de la section lilloise à lancer, à moitié sérieux : “l’UNEF est morte, vive l’UNEF !”.

 Si l’Union étudiante veut repartir des cendres encore fumantes de sa  sœur ennemie, son fonctionnement est voué à évoluer, pour éviter toute dérive autoritaire. Le syndicat historique a un système où chaque tendance est représentée à la proportionnelle du nombre d’adhérents, et une direction nationale qui centralise beaucoup de pouvoir. Tandis que “l’Alternative a une structure fédérale, qui s’est construite comme un anti-modèle du système très vertical de l’UNEF”, explique Tristan Haute, le spécialiste du syndicalisme.

Pour faire la synthèse de ces deux architectures, l’Union étudiante prévoit une organisation en fédération, où chaque section locale aura une voix, et une plus forte autonomie financière. “Avec l’ancien système, on devait faire valider chaque décision majeure par le bureau national, sous peine de se faire couper les vivres”, raconte Léo Ménager, secrétaire général de ce qui devient l’Union étudiante Lille.

“Les organisations étudiantes ont un nombre de militants qui est assez limité, mais par défaut elles restent les interlocuteurs privilégiés des partis pour s’adresser à la jeunesse.” Tristan Haute

L’enjeu est grand, tandis que la jeunesse prend une importance croissante dans le mouvement contre la réforme des retraites. Alors que le bureau national de l’UNEF souhaitait selon Léo Ménager “tourner la page de la réforme des retraites”, l’Union étudiante appelle à un “49.3 de la jeunesse’’ dès cette semaine. “Les organisations étudiantes ont un nombre de militants qui est assez limité [l’UNEF comptait environ 3.000 adhérents avant la scission, NDLR], mais par défaut elles restent les interlocuteurs privilégiés des partis pour s’adresser à la jeunesse’’ considère Tristan Haute. Reste à voir si l’intersyndicale, les organisations étudiantes et les partis politiques sauront rester unis tout en durcissant la contestation.

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