Les artistes face à la crise environnementale : interview de Steve Desgarceaux de Shaka Ponk (2/2)
À l’heure de la crise environnementale, les concerts et les tournées représentent un impact important. Face à cette situation, les artistes, représentant les acteurs les plus concernés, en raison de leur impact écologique, sont amenés à se demander comment concilier leur idéologie et leur art. Parmi eux, le groupe français Shaka Ponk, dont les membres sont connus pour leurs positions environnementale et écologiste marquées, agit concrètement en cette faveur.
Shaka Ponk, groupe emblématique connu pour son mélange explosif de rock et d’électro, a décidé d’arrêter définitivement les tournées. Une décision prise pour des raisons environnementales, afin de réduire l’impact écologique lié à leurs déplacements et à la logistique des concerts. Pour le Pépère News, le pianiste Steve Desgarceaux a apporté plus de détails sur ce choix, expliquant que le groupe souhaitait aligner ses valeurs artistiques avec une démarche plus responsable face aux enjeux environnementaux actuels. Pour le groupe, il est temps de repenser la manière de faire de la musique tout en respectant la planète.
Pépère News (PPR) : À quel moment vous êtes-vous dit que vous alliez arrêter les tournées pour des raisons environnementales ?
Steve Desgarceaux (SD) : Au moment du Covid, il y avait déjà tellement eu de révolutions à tous niveaux, le groupe n’a failli pas repartir alors que c’est un groupe qui ne s’est jamais arrêté. Les deux ans où on s’est arrêté, les gens pensaient qu’on était en vacances, mais en fait, on s’est arrêté un mois et après on a bossé. On commençait déjà à changer de fonctionnement, certains membres se sont éloignés de Paris après la pandémie. On a pris conscience de beaucoup de choses et c’était compliqué de retravailler ensemble après la dispersion des membres. À la base, on voulait faire une tournée acoustique avec des places assises, des masques, etc. Mais finalement, on ne l’a pas fait, c’était trop compliqué. Cependant, pour cette dernière tournée, on a gardé quatre morceaux acoustiques. On s’est dit, c’est la dernière parce qu’on avait envie de changer les choses et notamment, notre impact de pollution sur l’environnement. On s’est rendu compte que nos grosses tournées font partie du problème, et on en parle aussi dans nos textes. On s’est dit qu’on allait faire une tournée d’adieu pour dire au revoir au public et faire passer un message important. On n’a jamais été aussi heureux de jouer ensemble.
PPR : Le groupe s’est formé en 2002, mesuriez-vous dès le départ l’impact des tournées sur l’environnement ?
SD : Oui, on est allés à la fondation de Nicolas Hulot. Ils nous ont sensibilisés en faisant un bilan carbone d’une tournée de Shaka Ponk. Ça nous a bien fait flipper. Ensuite, on a essayé de convaincre des artistes pour travailler sur une vingtaine de gestes qui pourraient changer les habitudes et devenir moins polluants. Ce projet s’appelle The Freaks. On a toujours envie de faire de la musique, mais on ne sait pas comment. Pour la tournée, on a tenté de faire un maximum pour polluer le moins possible.
PPR : Vous avez la réputation de spectacles énergiques et visuellement impressionnants. Comment avez-vous réussi à concilier cette énergie de scène avec vos préoccupations écologiques ?
SD : Par exemple pour le catering, le restaurant pour les tournées, tout est 100 % bio, on va chercher dans le local alors qu’avant, on allait dans les supermarchés industriels. Également, sur quatre dates, il y en a une qui est vegan. C’est forcément plus contraignant d’une certaine façon, mais il faut réapprendre et c’est ça qui est génial. Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que, ce qui pollue le plus sur la tournée, ce sont les gens qui viennent nous voir. Cette année, la tournée a généré un million de personnes, à un moment on pensait faire une offre sur le prix de la place si tu prouves que tu viens en covoiturage au concert, mais c’était trop compliqué.
PPR : Quelle a été la réaction de votre entourage face à cet arrêt ? Et la réaction de vos fans ?
SD : En fait, il y a deux choses. D’abord, l’incompréhension : personne ne va contre le succès. On a eu des gens qui pleuraient, qui se demandaient comment ça allait être sans nous. Mais, en fait, quand tu te dis que le succès, c’est lié à l’argent, tu ne peux pas te poser de questions. On est conscients que ce n’est pas parce que Shaka Ponk arrête que tout va changer. C’est juste de la poésie, mais, on est prêt à bouleverser nos vies pour montrer qu’il y a une certaine poésie à devoir renoncer au succès de cette façon là. Nous, on veut mettre du sens logique dans nos convictions. On ne peut pas être des artistes humanistes et écologistes et en dehors du groupe oublier tout ça, c’est un mode de vie.
PPR : Comment ressentez-vous cette décision de sacrifier une partie de votre carrière pour une cause plus grande ?
SD : Ça me fait super flipper, mais ce n’est pas la question. Je suis fier que ce projet s’arrête comme ça, c’est super beau. Le singe a dit ce qu’il avait à dire, maintenant, il faut le faire. J’ose espérer que le singe nous a montré la lumière, mais il faut se retrousser les manches et il faut y aller mais il faut le faire ensemble. On essaie de convaincre les autres artistes et les influenceurs de se mouiller pour dénoncer ça. C’est le début d’une autre aventure, il y a aucun groupe qui s’arrête pour cette raison là.
PPR : Le singe dont vous parlez, c’est Goz, est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ?
SD : En fait, le concept du groupe, c’est de le faire parler dans les textes. Ce singe [la mascotte du groupe] a un regard éveillé sur ce que l’Homme est en train de devenir. Il parle d’homophobie, d’environnement, il juge les Hommes… Il nous voit comme des singes qui se voient supérieurs et qui sont arrogants. On s’est rendu compte avec Shaka Ponk que la colère ça ne marchait pas comme moyen de communication. On s’est inclus dans ce que Goz veut dire aux êtres humains, maintenant ça y est, c’est à nous de parler en faisant un dernier album militant et engagé.
PPR : Allez-vous continuer de composer des morceaux pour vos fans soucieux de ne plus vous voir en concert ?
SD : Ce n’est pas prévu, il n’y a aucun plan. Ça fait plus de quinze ans qu’on fait ça, ce n’est plus un métier. Quand je jouais au début avec mon meilleur ami, on devait trouver les dates, faire les tournées, composer… ça, c’était un métier. Maintenant avec Shaka Ponk, c’est plus un rêve qui s’est réalisé.
PPR : Pensez-vous qu’en 2050 tous les artistes auront arrêté les tournées ?
SD : Je ne sais pas, en tout cas, je pense qu’il faudra redéfinir « une tournée ». Ils n’arrêteront jamais les concerts, je pense. Y’a peut-être plein de trucs qu’on aura plus le droit de faire, mais est-ce qu’on a déjà eu le droit de le faire ? On fait ce qu’on veut avec la planète, mais on en paye les conséquences, sauf qu’on est tous ensemble.