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Kompromat, dans la peau d’une victime des rouages secrets du KGB

Kompromat, dans la peau d’une victime des rouages secrets du KGB

Kompromat © SND Films

Sorti en salle le 7 septembre dernier, le film Kompromat de Jérôme Salle suit le destin terriblement palpitant de Mathieu Roussel, un expatrié français directeur d’une école française basée à Irkoutsk (Russie), victime d’un “kompromat”. Ce dernier est alors arrêté sous les yeux de sa fille et se retrouve face au mur, à devoir retourner en France par ses propres moyens pour éviter une lourde peine derrière les barreaux de Moscou.

Des rues sombres de Moscou, aux forêts dangereusement surveillées au niveau des frontières, en passant par l’urbanisme atypique de l’Europe de l’Est représentatif de la Russie, la sensation de voyage est loin d’être absente. Un scénario presque trop banal débute le film. Jérôme Salle instaure un décor propre à la vie quotidienne : lieux d’école, de théâtre, puis de fête. Le spectateur découvre les personnages au fur et à mesure. On sent très vite l’ambiance pesante se profiler petit à petit. Tout s’ensuit rapidement. Au-delà d’une rapide immersion dans le cadre historique, l’accent est mis sur les lieux que va parcourir le personnage principal.

Un cadre immersif

Jérôme Salle emmène la caméra dans les moindres recoins de l’ex-empire soviétique ; en passant par l’ambassade française au cœur de Moscou, jusqu’aux forêts russes durant une traque à bout de souffle . À vrai dire, le regard du spectateur suit de près chacune des difficultés de Mathieu, joué par Gilles Lellouche, pour les vivre lui aussi, parfois brutalement. Après son arrestation, les premières heures dans sa cellule partagée, le personnage est roué de coups dans les minutes suivants, dès que ses codétenus aient appris la raison de son incarcération.

La découverte du Kompromat marque alors le grand tournant du film. Il s’agit d’un dossier de documents compromettants, authentiques ou fabriqués – le cas le plus courant – utilisés pour nuire à une personnalité politique, un journaliste, un homme d’affaires ou toute autre figure politique. Ce coup-monté s’avère être organisé contre le directeur, et s’articule autour d’accusations de pédophilie. Il s’agit de gestes hautement condamnables et très mal perçus par les Russes.

Au niveau du travail de réalisation, ce dernier est très sombre, parfois même poussé à son paroxysme. Le spectateur peut même en devenir mal à l’aise, notamment lorsque Mathieu est frappé dès sa première journée en prison. De même, on retrouve une grande partie des dialogues en russe. Les acteurs apparaissent alors encore plus proches de leurs personnages et amènent le spectateur à pouvoir les reconnaître dans leur langue et leur cadre de vie “maternels” . Les acteurs échangent entre eux dans leur langue maternelle, dans des quartiers typiques. Dès lors, le spectateur s’infiltre presque dans cette région de la Russie. Néanmoins, le regard porté sur la Russie – pleinement controversée pour sa politique actuelle qualifiée de répressive (bien que le film ait été tourné avant l’invasion en Ukraine) – est négatif. Ainsi, décrits à l’écran très subjectivement, les secrets et la vie interne de Moscou apparaissent très critiqués.

©SND
©SND

Une critique habile des pratiques camouflées de Moscou

C’est bel et bien l’un des enjeux du film : aborder avec une distance plus ou moins relative la notion de politique intérieure de la Russie. L’apostrophe “Le film traite de faits très librements inspirés“, débute la projection de Kompromat. Elle rappelle en réalité les choix du film vis-à-vis du vécu de Yoann Barbereau, directeur de l’Alliance française d’Irkoutsk, qui fut victime justement de ce “kompromat”. Les troupes militaires d’élites, les membres du KGB, l’ambiance globale démontrent une certaine noirceur représentative. En effet, la légère facette “manichéenne” se fonde autour de cette Russie “sanglante” et “traditionnelle”. Par exemple, une scène de chasse où un Russe tire sur la biche sans une once de remord et Mathieu – français – refuse car cela lui est simplement désagréable. La critique d’une Russie homophobe est également transcrite lors d’une scène de théâtre où le financeur quitte rapidement la salle lorsqu’il découvre la pièce, allégorie de l’homosexualité, jouée par les acteurs. Toutes ces oppositions et mises en comparaison entre la France et la Russie traduisent bien la volonté du réalisateur de présenter un état d’esprit moscovite plus sombre.

À cela s’ajoute l’aspect politico-militaire. Tout le périple de Matthieu est voué à retourner en terre “libre”. Idée qui est mise en scène avec le retour du soleil après des mois de grisailles, de pluie, de longues nuits noires et d’une immense forêt sans fin. Cette traque se traduit à la fois métaphoriquement et visuellement avec les militaires russes à la poursuite du français en exil, tels des loups pourchassant leur proie . Le principal “méchant” est également représenté comme un ennemi géopolitique.

Deux moments marquent parfaitement la difficulté d’extraction, et la situation tendue des relations entre le Kremlin et Paris surtout lorsqu’il s’agit d’un kompromat. D’ailleurs, l’ambassade refuse d’aider Mathieu à le ramener dans l’Union Européenne. De même, lorsque ce dernier est visité en prison par son avocat et une amie de l’ambassade, le doute d’une aide totale plane dans les yeux de l’employée d’état. Par ailleurs, la sensation est réitérée quand, à une rue près, le spectateur est sous pression avec le personnage qui doit rentrer dans l’ambassade. Il s’agit encore une fois d’un regard fictif, mais recherché et extrêmement immersif. Tout concorde donc pour dire que la Russie n’est pas représentée à son avantage dans ce film de 2022 (où les événements sont répertoriés selon le synopsis, en 2017).

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