« Ni Chaînes Ni Maîtres » ou la nécessité de considérer notre passé

Pour son premier long-métrage, Simon Montaïrou dessine une œuvre politique nous entrainant sur l’Ile Maurice, au coeur du passé colonial français. Un retour en 1759 nécessaire et important pour éclairer et combattre les idées xénophobes d’aujourd’hui.
Vrai phénomène de société, Ni Chaînes, Ni Maîtres met fin à un silence. En effet, en 35 ans quasiment aucune production cinématographique n’était revenue sur l’histoire colonialiste et esclavagiste française. Sorti le 18 septembre dernier, ce film nous plonge, en 1759, dans la colonie française de l’île Maurice (autrefois Isle de France). On y suit l’histoire de Massamba et de sa fille Mati qui, éprise d’un désir de liberté, fait le choix de s’affranchir de sa condition et de quitter la plantation. Un groupe de « chasseurs d’esclaves » est alors chargé de sa traque. Face à cette situation, Massamba s’échappe à son tour pour se lancer dans la quête désespérée de retrouver sa fille avant ses maîtres.
Un thème bien plus contemporain qu’on ne le pense
Révélateur de la présence d’un certain « tabou » français, le thème de l’esclavage met cependant en exergue un enjeu bien plus contemporain qu’on ne le pense. Face à l’explosion des discours xénophobes, « faire en sorte que les sujets de l’esclavage, du colonialisme et du racisme deviennent incontournables« (Camille Etienne, militante activiste écologiste) semble s’imposer comme une priorité. Selon Louis-Georges Tin, président du CRAN (Conseil représentatif des associations noires), « la France a occulté sa mémoire coloniale, au cinéma comme dans les manuels scolaires« . Ode au marronnage (action de s’évader pour un esclave) comme outil d’émancipation et de résistance face au joug colonial, le film de Simon Montaïrou dessine une épopée homérique qui invite son public à s’interroger.
« Je pense qu’aujourd’hui le cinéma doit jouer un rôle politique »
Telle l’épineuse question de la Belgique et de la France en Afrique (ou dans le Pacifique-Sud en Nouvelle-Calédonie), notre société doit donc se tourner vers son passé et être capable d’ouvrir le débat, aussi bien dans la sphère politique qu’artistique. Comme une famille où l’on cacherait la vérité aux enfants, l’enseignement de l’Histoire et du rôle de la France dans le Commerce Triangulaire est essentiel pour soigner les maux d’aujourd’hui. Pour mieux la combattre, il est ainsi primordial de comprendre que la théorie selon laquelle l’ »Homme blanc » serait « supérieur » à l’ »Homme noir » s’encre dans une construction historique profonde qu’il faut retraverser. Selon le réalisateur de Ni Chaînes, ni Maîtres, « le cinéma se doit de jouer ce rôle politique ». (Voir également : Le cinéma lutte aussi contre le racisme).
Constatant un « vide médiatique » à sa sortie, plusieurs personnalités de la société civile telles que Camille Etienne se sont emparées du sujet : « L’idée est de faire monter ce film par le bas, par nous les spectateurs. » Résultat : des salles lilloises qui affichent complet et des centaines de commentaires positifs sur les réseaux.
Un avis lillois qui reste néanmoins mitigé
Malgré des avis plutôt positifs sur les plateformes de notation (cinq étoiles pour CinémaTeaser et Ouest France, quatre pour L’Humanité, La Croix, Le Parisien…), le public lillois parait néanmoins plus mitigé. Pour Isaure, étudiante en journalisme, « même si le film est beau, j’ai l’impression que le réalisateur a beaucoup misé sur l’image et peu sur le scénario qui semble en fin de compte assez vide ».
Lysandre a quant à elle bien aimé le film malgré une appréhension vis-à-vis de la manière dont le réalisateur allait traiter le sujet. Même si elle rejoint Isaure sur la question du scénario, pour elle, « cette œuvre permet de se rendre compte de la réalité de l’esclavagisme. Quand en cas de fuite, on apprend qu’ils sont marqués d’une fleur de lys, puis qu’on leur coupe les oreilles et qu’ensuite, on les tue, ça fait froid dans le dos. C’est ce réalisme qui m’a plu, car il m’a bouleversé « . En une heure et trente huit minutes de projection, les événements s’enchainent, entrainant le spectateur, mais l’empêchant hélas de creuser la complexité des personnages. Un élément qui a empêché Isaure d’ »accrocher au film ».
Si on note une photographie léchée, l’œuvre de Simon Montaïrou peine donc à faire l’unanimité. Mais son importance semble résider dans son message : il est temps de s’affranchir, d’accepter nos différences et de faire front face aux injustices, « Aujourd’hui je pense qu’il existe encore de nombreuses chaines et qu’il est l’heure de les briser » (Simon Montaïrou).