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Sciences Po Lille, la force de la mobilisation contre la réforme des retraites

Sciences Po Lille, la force de la mobilisation contre la réforme des retraites

Blocage de l'entrée de sciences po lille, le 3 mars 2023 pour protester contre l'allongement de l'âge de la retraite © Myriam Barreto

Depuis quelques mois, des étudiants de l’Institut d’Études Politiques de Lille (IEP) s’organisent pour lutter contre la réforme des retraites, mais aussi plus largement contre le gouvernement d’Emmanuel Macron et pour les étudiants. Rassemblés dans le collectif “IEP de Lille mobilisé”, ils mènent des actions pour faire entendre leur voix et participer au mouvement national de lutte contre la réforme des retraites. Une mobilisation qui ne fait pas toujours l’unanimité au sein de l’IEP, tant chez les étudiants qu’au sein de l’administration.   

Ce semestre-ci, c’est sur le terrain que certains étudiants de Sciences Po Lille se frottent à la politique. En effet, depuis début janvier, le collectif “IEP de Lille mobilisé” mène une lutte intense contre la réforme des retraites au sein de l’école, multipliant les piquets de grève et les blocages.   

Un collectif qui s’engage pour améliorer les conditions de vie des étudiants

À l’origine, le collectif IEP de Lille mobilisé s’est reformé avec la volonté d’inscrire les revendications étudiantes dans le cadre de la mobilisation générale pour les augmentations de salaire, en octobre 2022. Revendiquant une “revalorisation des conditions d’étude” des étudiants et la prise en compte des conséquences de l’inflation sur leurs conditions de vie au niveau national, le collectif avait organisé une de ses premières actions de l’année : un blocage de l’école, lors de la journée de grève générale du 18 octobre.  

Ce type d’action permet à la fois d’interpeller les autorités et de faciliter la participation des étudiants et des personnels de l’école aux mouvements sociaux, puisque le salaire de ces derniers n’est pas retenu lorsque l’école est fermée pour cause de blocage. “L’objectif c’est de voir des gens qui arrivent devant l’IEP et qui sont bloqués, et de fait ça crée des discussions”, mentionne également un étudiant mobilisé. 

Par la suite, le collectif a réitéré ce type d’action et a obtenu à plusieurs reprises, mais non sans quelques accrocs avec l’administration, l’annulation des cours lors des journées de mobilisation générale. Jusqu’aux vacances de Noël, le collectif avait donc marqué une présence discrète mais affirmée au sein de l’IEP.  

Un mouvement qui s’inscrit dans la mobilisation nationale contre la réforme des retraites 

Cependant, depuis début janvier et la mobilisation nationale pour lutter contre la réforme des retraites, les actions du collectif se sont multipliées pour protester “contre Macron, sa réforme des retraites et son monde”. Les Assemblées Générales (AG) sont peu à peu devenues hebdomadaires, voire quotidiennes, tandis que les blocages et les piquets de grève ont eux aussi commencé à marquer le quotidien de l’IEP durant le mois de mars. Dans le même temps, des buffets de solidarité ont été organisés pour renflouer les caisses de grève, dans une ambiance festive et conviviale.  

Devant les blocages, des messages d'opposition à la réforme et de soutien aux travailleurs en grève © Milian Boudehent
Devant les blocages, des messages d’opposition à la réforme et de soutien aux travailleurs en grève © Milian Boudehent

Pour autant, le collectif n’a pas perdu de vue ses revendications initiales – améliorer les conditions de vie des étudiants – puisqu’il a organisé pour la première fois une opération “RU gratuit” le 14 mars en bloquant les caisses du restaurant, ce qui a permis à une centaine d’étudiants de bénéficier gratuitement d’un repas. Le collectif a seulement interrompu son action quand le personnel du RU a refusé de remplir de nouveau les bacs.   

Une mobilisation qui a pris de l’ampleur avec l’utilisation du 49.3

Au lendemain de l’adoption de la réforme des retraites et de l’échec des motions de censure déposées par les oppositions, la mobilisation s’est encore étendue. Le collectif IEP de Lille mobilisé continue donc d’agir au sein de Sciences Po Lille et a notamment organisé une journée de sit-in festive le 21 mars. 

Les étudiants mobilisés ont commencé par procéder à un débrayage dans l’enceinte de l’IEP, réunissant plus d’une centaine d’étudiants et quelques professeurs. Devant cette réussite, le programme de l’après-midi a été changé, certaines activités ne pouvant être réalisées avec autant d’étudiants. Dès midi, un buffet solidaire a été installé, et des discussions, notamment sur la désobéissance civile, ont été organisées entre élèves et avec des professeurs. Plus d’une centaine de personnes étaient présentes en assemblée générale et pour le départ commun en manifestation vers la Place de la République. Les étudiants mobilisés ont également tenu à effectuer un point anti-répression, dans lequel les attitudes à adopter en manifestation ont été rappelées. 

 

Le lendemain, le mercredi 22 mars, un communiqué d’information à destination de l’ensemble des étudiants a également été diffusé sur les réseaux sociaux. Il faisait suite à une discussion entre le collectif IEP mobilisé, les trois listes étudiantes (Alter Éco, S’engager, Solidaires) et l’administration de Sciences Po Lille qui s’était tenue la veille. Cinq revendications ont notamment découlé de ces échanges.

Des modalités d’évaluation bienveillantes de la part des professeurs, la non prise en compte des cours dispensés en visioconférence dans le programme des examens, la mise en place de “devoirs maison” pour remplacer les examens si la situation persiste ou s’aggrave, l’élaboration d’un programme de révisions clair ainsi qu’un temps de discussion avec les élèves de master pour évoquer leur situation particulière. 

L’élaboration de ce communiqué commun et transpartisan témoigne de la volonté de s’organiser au mieux pour préserver l’intérêt général dans ces temps de mobilisations qui ne faiblissent pas.   

Une nouvelle journée de mobilisation s’est tenue le lundi 27 mars, avec, dès 9h, un piquet de grève. La suite de la journée était ponctuée de réunions, d’AG, de points anti-répression ou encore de jeux de société. Comme à chaque fois, les étudiants se sont réunis avant le début de la manifestation pour un départ commun. 

Des tensions avec l’administration

C’est dans ce contexte de mobilisation générale que le ton est monté entre le Collectif IEP de Lille mobilisé et la direction de Sciences Po Lille courant mars. En effet, des accusations “mensongères” de la part du Directeur, Pierre Mathiot, auraient été diffusées à l’ensemble des élèves de l’école afin de diaboliser les actions du collectif et notamment les blocus de Sciences Po et de la bibliothèque universitaire. Le collectif a dénoncé l’invention d’un “accord” qui aurait été conclu entre ce dernier et l’administration, les engageant à ne plus bloquer. Des affirmations réfutées par IEP de Lille mobilisé qui a crié au chantage.

Le passage des cours en distanciel par l’administration de Sciences Po Lille est quant à lui considéré comme un moyen de casser la grève et de ne pas permettre à chacune et chacun d’aller manifester puisque les cours sont maintenus à distance. Une mesure jugée “inacceptable” par le Collectif au vu de la situation, qui rappelle à beaucoup de mauvais souvenirs du confinement. 

AG devant science po lille du collectif IEP mobilisé ©Emily Zaragoza
Assemblée Générale devant Science Po Lille menée par le collectif IEP mobilisé ©Emily Zaragoza

Les actions du Collectif IEP de Lille mobilisé ne font pas l’unanimité chez les élèves non plus, certains leur reprochant de creuser les inégalités entre étudiants et d’isoler les élèves. Les étudiants internationaux, nombreux au sein de Sciences-Po Lille, regrettent également le blocage de l’école. Face à ces critiques, un étudiant reconnaît que “pour certains étudiants la situation est compliquée” du fait des blocages mais souligne que “c’est le principe de la mobilisation que d’entrer dans le quotidien des gens et de venir le bloquer […] pour créer de la discussion”. Et de continuer : “On fait des études de sciences politiques et je trouve dommage que certains n’arrivent pas à prendre du recul, à relier ça au concept de répertoire d’action”.

Tenir la mobilisation sur le long terme, un défi de taille

A l’instar de la mobilisation nationale, les actions menées par le collectif IEP mobilisé ont néanmoins baissé en intensité et en fréquence courant avril. Mais si les blocages se sont fait plus rares et que les cours ont repris en présentiel, le collectif n’en a pas pour autant abandonné son combat, puisqu’il a continué à mener des actions “douces” telle que des cafés philo, des groupes de paroles et des buffets à prix libres.

Jeudi 13 avril, journée de mobilisation nationale, le collectif a même organisé une matinée de “non-blocage de sciences-po” qui s’est déroulée de façon festive dans la cafétéria de l’école. Un accord avait été trouvé avec l’administration pour que les cours de l’après-midi soient banalisés, afin de permettre aux étudiants d’aller manifester.

Maintenant que la décision du Conseil Constitutionnel a été rendue et sachant que les vacances commencent le 22 avril, reste à voir comment la mobilisation va évoluer dans les jours qui suivent.

Une montée en puissance des tensions

Malgré la baisse d’intensité dans la mobilisation, celle-ci a continué d’avoir un goût amer pour les étudiants mobilisés, puisque lors d’un blocage organisé le 7 avril dernier, la plupart d’entre eux ont été violemment dégagés de l’entrée de l’école par les policiers que P.Mathiot [le directeur de l’école, NDLR] avait appelés pour débloquer l’IEP. De nombreux élèves ont été traînés sur le sol et violemment poussés par des forces de l’ordre, qui étaient souvent masqués. De nombreuses agressions verbales ont aussi été entendues.

Dans un communiqué posté dimanche 17 avril sur Instagram, le Collectif  a dénoncé ces violences ainsi que le rôle et la responsabilité de l’administration dans leur exaction. A l’heure où nous écrivons cet article l’administration de Sciences-po Lille n’a pas encore réagi.

Ainsi, les tensions au sein de l’IEP ne cessent de s’accroître, en plus du chaos social et politique actuel. Néanmoins, cette mobilisation estudiantine est la preuve que la jeunesse a de la voix, et qu’elle n’a pas encore dit son dernier mot.  

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