The Apprentice : la genèse d’un empire américain nommé « Trump »
Dans The Apprentice, sorti le 9 octobre 2024, Ali Abbasi nous plonge dans les jeunes années folles de Donald Trump, incarné par un Sebastian Stan saisissant. Accompagné de Roy Cohn, avocat diabolique joué par Jeremy Strong, Trump découvre les coulisses d’une Amérique où le pouvoir, l’argent et la manipulation règnent en maîtres. Présenté en compétition officielle au festival de Cannes 2024, ce biopic de deux heures explore la création de l’empire Trump et les rouages du capitalisme américain débridé.
The Apprentice, film du réalisateur dano-iranien Ali Abbasi, dévoile les débuts tumultueux du futur président dans le milieu des affaires immobilières des années 1970-80. La ressemblance de Sebastian Stan et de l’ancien POTUS est frappante. Il incarne ici un jeune homme ambitieux nommé Donald Trump, se forgeant une place dans un New York sauvage. Jeremy Strong incarne Roy Cohn, l’avocat conservateur et controversé, mentor de Trump, qui l’initie aux stratégies politiques, sans pitié ni éthique, afin de prospérer dans le monde des affaires. Abbasi et son scénariste, Gabriel Cherman, construisent un récit audacieux, où le pacte Trump-Cohn est l’axe central de cette fresque captivante. L’histoire se concentre sur la montée en puissance de Trump, jeune héritier d’une famille fortunée, et sur l’influence sinistre qu’à Cohn sur lui, l’encourageant à adopter des méthodes plus que douteuses. La relation entre les deux hommes, mêlant admiration et manipulation, s’apparente à celle de Frankenstein et sa créature, où le « génie » de Cohn fabrique le « Prométhée moderne américain » et nourrit ses ambitions démesurées, tout en lui inculquant un mépris absolu pour la vérité ou la morale.
Aux origines d’un pouvoir impitoyable
Dans ce portrait sans concession de l’homme d’affaires américain, Sebastian Stan capte à la perfection l’évolution de Trump : de jeune héritier sans réelles ambitions à figure puissante et dangereuse de la finance et de la politique, ses mimiques, sa coiffure emblématique et son fameux discours révèlent un homme en perpétuelle mutation, motivé par une quête insatiable de pouvoir.
Jeremy Strong, de son côté, se distingue dans le rôle de Roy Cohn, avocat nationaliste, machiavélique et manipulateur. À travers ce personnage sinistrement célèbre, Abbasi explore les contradictions d’un homme détestant publiquement l’homosexualité tout en étant lui-même homosexuel, inventant un « monstre » qu’il finira lui-même par regretter d’avoir créé.
Les moments marquants, souvent intensifiés par une esthétique visuelle précise, montrent Trump absorbant les leçons de Cohn : « La vérité importe peu ; il faut mentir, nier, nier, nier et ne jamais s’avouer vaincu ». Les décors, costumes et un travail minutieux sur la photographie recréent parfaitement l’ambiance des années 1970-1980. Abbasi utilise le format 16 mm pour les scènes des années 1970 et un effet VHS pour les années 1980, ajoutant une touche nostalgique qui inscrit encore plus le spectateur dans l’époque du récit. Ces éléments visuels, combinés aux plans iconiques de New York, deviennent des personnages à part entière, symbolisant la démesure d’un empire en construction.
Un biopic politique au cœur de l’Amérique contemporaine
The Apprentice va au-delà du simple biopic pour offrir une véritable réflexion politique en explorant la transformation de Trump en l’homme politique clivant qu’il est aujourd’hui. En parallèle, le film met en lumière les dérives du capitalisme et de l’ultra-libéralisme américain bien connu. Abbasi insiste sur la dynamique tragique entre Cohn et Trump, où l’apprenti dépasse le maître, transformant les conseils de son mentor en véritables préceptes de vie et d’affaires.
Le film pose cette question glaçante : qu’arrive-t-il lorsqu’un homme, initialement simple instrument d’un système, finit par incarner et amplifier ce dernier jusqu’à en devenir le produit le plus emblématique ?
Abbasi fait le choix de montrer Trump avec une certaine ambiguïté, suscitant tantôt de l’empathie, tantôt de la répulsion, sans toutefois offrir d’excuses à ses comportements. Cette approche, quasi-documentaire, nous invite à comprendre le personnage dans son environnement et à saisir l’ampleur de l’idéologie et de la manipulation dont il est issu. En filigrane, le réalisateur dresse un portrait accablant d’une société fascinée par l’argent, la célébrité et le pouvoir, où le mythe du self-made man camoufle les pires excès, et dont Trump est la figure.
Une sortie électrisante en pleine période électorale
La sortie de The Apprentice, à un mois des élections présidentielles américaines de 2024, fait l’effet d’une bombe dans le paysage médiatique. Steven Cheung, directeur de campagne de Trump, a menacé de porter plainte, estimant que le film ternissait l’image de son candidat (mais ne l’empêchera pas de remporter les élections, ndlr). Après un accueil remarqué lors de la quinzaine cannoise, le biopic a pourtant peiné à trouver un distributeur aux États-Unis, une pression que certains ont pu percevoir comme une censure par procuration.
En choisissant de raconter l’histoire de Trump, non pas comme celle d’un leader politique, mais comme celle d’un produit dérivé d’un système, Abbasi propose une critique acerbe de l’Amérique contemporaine. Le spectateur ressort du film avec une sensation de malaise, témoin d’une dégradation humaine et morale qui, si elle paraît terrifiante, rappelle les ressorts sombres d’une société en quête perpétuelle de succès, prête à écraser tout sur son passage pour y parvenir.
The Apprentice, en capturant la naissance de ce « monstre » d’une Amérique capitaliste, provoque autant qu’il instruit. Ce biopic fascinant et troublant, servi par des interprétations de taille, laisse une question obsédante : et si cette histoire était bien plus qu’une fiction ?