Les Banshees d’Inisherin, un cri au coeur de l’Irlande
Nommé 9 fois aux Oscars 2023, le dernier film du réalisateur irlandais Martin McDonagh dépeint la fin d’une amitié entre deux hommes qui se retrouvent entraînés dans une danse sans fin, l’ensemble porté par la performance majestueuse de Colin Farrell et Brendan Gleeson.
Pádraic (Colin Farrell) a une vie simple, sur la paradisiaque île d’Inisherin, aux vertes collines et aux eaux cristallines. Il s’occupe de ses animaux, et chaque après-midi, retrouve Colm (Brendan Gleeson) pour aller prendre une pinte dans le pub de l’île et converser. Un train de vie répétitif dans lequel il se complaît. Jusqu’à ce qu’il ne le soit plus.
Une rupture brutale
Un jour, sans raison apparente, Colm refuse de suivre Pádraic et de partager un verre avec lui. Pourquoi ? “Je crois que je ne t’aime plus“, lui dit-il simplement. Pádraic se retrouve face à une impasse qu’il tente de contourner, perdu, confus. Il insiste, l’autre se braque et les voilà partis dans une querelle sans fin, escaladant en intensité au fur et à mesure que la pellicule se déroule. Lorsque Pádraic essaie d’obtenir des explications, Colm le menace de se couper les doigts – le comble pour un violoniste.
Le scénario dans Les Banshees d’Inisherin est d’une simplicité absurde, presque un thème de récréation de primaire, et pourtant, Martin McDonagh déroule le fil au maximum, écrivant au passage l’une des plus belles tragicomédies de 2022. La question est aussi cinglante qu’elle est simple : jusqu’où peut aller un homme ?
La confrontation se fait tout autant dans les actes que dans la morale. Ici, McDonagh met en face à face deux idéologies : le bon homme, celui qui vit au jour le jour et s’en contente, et l’artiste, celui qui veut laisser sa trace. Les répliques, d’une justesse grandiose, fusent entre les deux acteurs Colin Farell et Brendan Gleeson. C’est le retour de ce duo sous l’objectif de Martin McDonagh, quatorze ans après Bons Baisers de Bruges, film qui avait révélé le réalisateur britannique.
Une métaphore bien filée
Des bombardements lointains viennent perturber le calme des paysages irlandais tout le long du film. 1923, l’Irlande se déchire entre deux camps, comme Colm et Pádraic. Une toile de fond qui devient la métaphore filée du film, exécutée à merveille.
Dans une joute verbale aux effluves de Guinness, la confrontation entre la gentillesse et le désir de postérité met en lumière la réalité : les gens gentils, personne ne s’en rappelle. Mieux vaut alors taper du poing sur la table ?
McDonagh y oppose deux visions présentes lors de la guerre civile : ceux pour la désobéissance civile et ceux pour… la civilité. Mais peu importe le camp choisi, le réalisateur montre surtout que la tempête guerrière irlandaise heurte profondément tout le monde, de près ou de loin, qu’ils soient au cœur du conflit ou en arrière-plan. Le bombardement est constant. Il est verbal, physique, dans les jardins ou dans le seul pub de l’île. Et là où il va suit la Banshee de l’île, messagère de l’autre monde, attendant de crier à la mort.