Lueurs Républicaines, le think tank lillois qui veut éclairer la gauche (1/2)
Pour sa rentrée politique, le collectif citoyen Lueurs Républicaines a organisé deux conférences axées sur l’environnement au Peacock Café de Lille. En exclusivité, le Pépère vous dévoile ce qui s’y est dit dans cet article en deux parties. Aujourd’hui, focus sur la question animale, vue par une chercheuse et une militante de l’association L214.
Vous n’avez probablement jamais entendu parler de Lueurs Républicaines. Derrière ce nom un peu ronflant se cache un groupe de réflexion lillois de gauche, fondé en décembre 2020. Officiellement, le groupe n’a aucune attache partisane, même si son président Baptiste Ménard, adjoint au maire PS de Mons-en-Barœul, ne cache pas son soutien personnel à Bernard Cazeneuve. Ce dernier est un ancien ministre socialiste qui a quitté le parti par hostilité envers l’alliance avec la France Insoumise. B. Cazeneuve est plus proche de la ligne d’Anne Hidalgo, qui avait su convaincre 600.000 électeurs à la présidentielle. Pour en revenir aux Lueurs, leur méthode est de produire des analyses sur l’actualité et engager des débats sur les causes « importantes à [leurs] yeux ». Comme ce samedi matin au Peacock Café, où le collectif accueille Maude Grégoire, référente Nord-Pas-de-Calais de l’association L214, et Lucie Wiart, docteure en science de gestion spécialisée dans la question animale. Devant une vingtaine de sympathisants, elles ont notamment évoqué l’antispécisme, les barbecues, et l’utopie d’un monde sans exploitation animale.
L’humain au menu
« En France, toutes les secondes il y a 500 animaux qui sont tués dans les abattoirs […] Pendant qu’on parle en ce moment, il y a des millions d’animaux qui sont enfermés dans des bâtiments clos, dont ils ne sortiront jamais. [… ] Ils vivent au milieu de leurs propres excréments ». Dès l’entame, Maud Grégoire présente implacablement la réalité de l’élevage dans l’Hexagone. C’est la stratégie que l’association L214 a perfectionnée. Ses actions spectaculaires, comme les enquêtes filmées au sein d’abattoirs, lui ont forgé une réputation de radicalité depuis ses débuts en 2008. Pour elle, il est « évident » que la question animale est un sujet politique. Elle en veut pour preuve l’énormité des chiffres de l’industrie animale, ou alors la création toute récente du Parti animaliste en France.
Selon Maud Grégoire, il y a « un consensus scientifique » : les animaux d’élevage, même les poissons, « sont des animaux sensibles »qui ressentent la douleur. Interrogée par le Pépère News sur ce qui lui permet de parler de consensus, elle renvoie à la déclaration de Cambridge, un manifeste signé par plusieurs neuroscientifiques en 2012 estimant que « les humains ne sont pas les seuls à posséder les substrats neurologiques qui génèrent la conscience. » L’idée que les animaux sont des êtres conscients au même titre que les humains, est au cœur de la réflexion du mouvement antispéciste, dont fait partie L214. L’antispécisme est un courant philosophique considérant les animaux comme des êtres à part entière. Ils subiraient une oppression reprenant les mêmes mécanismes que le racisme ou le sexisme : réduction à l’état d’objets, préjugés en tout genre, déni des violences, etc.
« En tant que femme, je me sens légitime pour comparer le sexisme au spécisme » juge Maud Grégoire. Certains militants vont jusqu’à parler de « génocide animal », une expression qui dérange, y compris au sein du public au Peacock Café. L’activiste tente de tempérer : « il n’y a pas de consensus sur le sujet, y compris au sein de L214.” Elle est plus à l’aise pour parler des liens entre féminisme et antispécisme. On pense à l’exemple du « scandale du barbecue » : l’écologiste Sandrine Rousseau avait évoqué le lien établi par les sciences sociales entre l’idée de virilité et la consommation de viande. De nombreux hommes avaient réagi en postant des photos d’eux-mêmes devant leur barbecue, ce qui revient un peu à brûler sa maison pour prouver qu’on n’est pas pyromane.
Les jeunes plus ouverts à la cause animale ?
L’affligeant scandale du barbecue illustre au moins une chose : la réception d’un message compte autant que le message en lui-même. Quand Baptiste Ménard, président de Lueurs Républicaines, l’interroge sur les méthodes employées par L214, notamment les images d’abattoir, Maud Grégoire revendique le recours aux émotions pour changer notre relation avec les animaux. La chercheuse Lucie Wiart théorise cette méthode comme une opposition au discours de raison employé par le capitalisme. Ce dernier porte en effet en lui l’idée que les hommes sont rationnels, contrairement aux animaux. Une séparation « héritée de la morale catholique » selon elle.
Rejeter cet état de fait serait faire preuve d’émotion aux dépens de la raison, une critique facile, faite envers toutes les luttes sociales. La militante écologiste Greta Thunberg, par exemple, est souvent traitée « d’hystérique” ou « d’extrémiste », ce qui permet de ne pas lui répondre sur le fond. Maude Grégoire déplore qu’on voie les activistes animalistes comme des « mémères à chat », encore une vision teintée de sexisme. Lucie Wiart explique le rapport différent des jeunes aux animaux par le « déclin d’une vision du monde encore empreinte de catholicisme. » Cela aurait permis l’éclosion de nouveaux imaginaires ne mettant plus l’homme au sommet de la pyramide. Les jeunes sont d’ailleurs beaucoup plus nombreux à opter pour le végétarisme que leurs aînés.
Évidemment, l’animalisme fait face à son lot de critiques, y compris au sein du Peacock Café. Quand on l’interroge sur le poids de la tradition, notamment dans la corrida, la réponse de Maud Grégoire fuse : « ça ne me semble pas un argument recevable pour justifier la violence. » La question épineuse des compléments alimentaires, que certaines personnes ne consommant pas de viande doivent prendre, ne l’embarrasse pas non plus :« Notre alimentation est déjà complémentée sans que nous nous en rendions compte, j’assume totalement si certains doivent prendre de la vitamine B12 en supplément. »
Longtemps relégués au second plan, les militants de la cause animale semblent réussir à se faire entendre de plus en plus, notamment par les jeunes générations. Reste à voir s’ils pourront avoir un réel impact politique.