Le collectif lillois Lueurs Républicaines en conférence sur le ministère de l’écologie
Pour sa rentrée politique, le groupe de réflexion lillois Lueurs Républicaines a organisé deux conférences axées sur l’environnement. En exclusivité, le Pépère vous dévoile ce qui s’y est dit dans cet article en deux parties. Après la question animale, on parle de l’enquête d’une journaliste de Vice sur le ministère de l’écologie.
Dans son livre “La poudre aux yeux” (paru en mars 2022), Justine Reix (sur la photo ci-dessus, à côté de Baptiste Ménard, le président de Lueurs Républicaines) détaille les rouages d’une institution abîmée par le manque de moyens, les querelles entre ministères et l’influence des lobbyistes. Ce samedi 17 septembre, elle est venue apporter ses lumières aux membres du jeune collectif lillois de centre-gauche Lueurs Républicaines.
Ministère amer
On l’a appelé le ministère de l’Environnement, de la Qualité de vie, de l’Écologie et du Développement durable, de la Transition écologique et solidaire, puis juste de la Transition écologique. Mais le nom qui lui colle à la peau a été trouvé dès 1975 par son premier locataire, Robert Poujade : le “ministère de l’impossible”. Et si l’urgence écologique n’a fait que croître depuis, les moyens n’ont malheureusement pas suivi pour ce qui devrait être l’une des institutions les plus importantes du gouvernement. “Aujourd’hui, l’Écologie a un budget qui ne représente que 11% des budgets alloués aux différentes branches du gouvernement”, explique Justine Reix, avant de le comparer à celui de l’Économie, plus de deux fois supérieur.
Les changements de nom incessants du ministère reflètent son périmètre d’action changeant. À chaque remaniement, les domaines où chaque partie du gouvernement peut intervenir sont réattribués, explique Justine Reix. Par exemple, la chasse est passée de l’Agriculture à l’Écologie plusieurs fois. Quand c’est cette dernière qui en a la charge, c’est évidemment plus simple de réguler les pratiques des chasseurs. Sauf que contrairement à la Défense par exemple, l’Écologie n’a pas de champs de compétences bien défini. Chaque nouveau ministre doit donc négocier avec les autres membres du gouvernement pour obtenir sa part du gâteau, et c’est rarement l’Écologie qui sort gagnante de ces discussions en sous-main.
On entend souvent dire que le ministère est censé être “transversal”, ce qui signifie qu’il doit s’intéresser à un très grand nombre de domaines. Sauf que chacun d’entre eux est en fait régi par une branche différente du gouvernement, ce qui crée régulièrement des désaccords. “On a souvent l’impression que tous les membres du gouvernement jouent dans la même équipe, mais c’est plus compliqué que ça“, explique Justine Reix. Elle indique que si les différentes parties n’arrivent pas à régler leurs différends, c’est le Premier ministre qui tranche, souvent en défaveur de l’Écologie. Pendant la pandémie par exemple, des dizaines de milliards d’euros d’aide aux entreprises ont été versées aux entreprises, sans aucune contrepartie écologique. Comme souvent, c’est le ministère de l’Économie qui a primé.
Un ministère qui peine à évoluer
En plus de devoir affronter les autres branches du gouvernement, les locataires du boulevard Saint-Germain (l’adresse du ministère) peuvent aussi être entravés par les lobbys. Cet anglicisme désigne une organisation cherchant à influencer la prise de décision des pouvoirs publics. Tous les corps de métiers ou secteurs que le boulevard Saint-Germain doit gérer ont leurs lobbys. Justine Reix cite l’un d’entre eux, Thierry Coste, qui se vante d’être “celui qui a fait tomber Nicolas Hulot”. En 2018, ce dernier avait annoncé démissionner de son poste de ministre de la Transition écologique et solidaire en direct sur France Inter. Selon Thierry Coste, que Justine Reix a pu rencontrer, c’est grâce à son travail en tant que “lobbyiste des chasseurs” que l’ancien présentateur de l’émission Ushuaïa a craqué. T. Coste se vante d’employer tous les moyens pour servir les intérêts de ses clients, ici les chasseurs, jusqu’à rechercher des informations personnelles sur les personnes qu’il cible. Et il n’est qu’un nom parmi une constellation de lobbyistes qui veulent peser sur le gouvernement.
Justine Reix et la vingtaine de personnes attablées devant elles, surtout des membres de Lueurs Républicaines, s’accordent tous pour dire que le gouvernement actuel, et la France en général, ont un bilan mitigé en matière environnementale. Alain Dubois, membre du collectif et vétéran de l’écologie, intervient longuement pour apporter sa vision. Secrétaire national de l’association écologiste Les Amis de la Terre (1983-1992) avant d’intégrer le ministère de l’écologie (1992-2006), il évoque les difficultés qu’il a rencontrées durant son parcours. “Brice Lalonde [secrétaire d’État puis ministre de l’écologie de 1988 à 1992, NDLR] nous disait que chaque ministre n’a l’occasion que de mener trois projets durant son passage au ministère”. Quand l’on connaît l’ampleur pharaonique de la tâche, trois objectifs atteints, c’est peu. Justine Reix acquiesce, les choses n’ont pas l’air d’avoir beaucoup changé boulevard Saint-Germain.
La journaliste de Vice tente toutefois de rester optimiste, évoquant une “nouvelle génération” de fonctionnaires intégrant les cabinets avec une meilleure formation aux enjeux écologiques. L’administration publique est peuplée de profils similaires, passés par les mêmes écoles, Science Po par exemple. Ces dernières n’ont commencé que récemment à prodiguer des cours portant sur l’environnement. Mais Alain Dubois, qui connaît bien la fonction publique, tempère. Il faudra selon lui “une douzaine d’années” avant que cette nouvelle génération atteigne des postes stratégiques. Dix jours avant la conférence, un député Renaissance confiait ainsi à La Dépêche que Christophe Béchu, l’actuel ministre de l’Écologie, “perd pas mal d’arbitrages face à Bercy [le ministère de l’Économie, NDLR]”. Il aurait notamment échoué à proposer un projet de loi baissant la taxation des transports en commun. Au ministère de l’impossible, les têtes de proue changent, mais le navire reste identique. Et pendant ce temps, la température continue de grimper.