Megalopolis : un éternel prétendant ?
Sorti le 25 septembre en France, Megalopolis était attendu comme le dernier chef-d’œuvre de Francis Ford Coppola. Après plus de 40 ans de préparation, le film voit enfin le jour mais ne semble toujours pas convaincre les spectateurs, un mois après sa sortie. Entre attentes, déceptions et polémiques, retour sur ce film qui fait tant débat.
Megalopolis, c’est l’œuvre d’une vie. Celle de Francis Ford Coppola. Le réalisateur américain est considéré comme l’un des plus grands de son époque avec, à son palmarès, plusieurs films considérés comme “des classiques” aujourd’hui. Il est notamment l’auteur d’Apocalypse Now, de Dracula ou encore de la trilogie Le Parrain.
L’aboutissement d’un long processus de création
C’est à l’âge de 85 ans qu’il concrétise enfin le projet qu’il mène depuis plusieurs décennies. Ainsi, le scénario connu du grand public est bien loin de celui que Coppola commence à écrire dans les années 1980. En 2001, le réalisateur convoque de nombreux comédiens d’exception et organise des séances de lecture du script. Parmi eux, Al Pacino, Robert De Niro, James Gandolfini, Leonardo DiCaprio, John Hamm, Paul Newman, et Nicolas Cage.
Cependant, les attentats du World Trade Center l’impactent fortement. Il met alors son projet entre parenthèses jusqu’en 2017, date à laquelle il relit son script et lance à nouveau son projet. Certaines scènes ont d’ailleurs été modifiées pour correspondre avec sa vision du monde post-2001. Le tournage débute en fin d’année de 2022 et le casting final n’a plus grand chose à voir avec les noms qui circulaient dans les années 2000 : Adam Driver, Nathalie Emmanuel, Giancarlo Esposito, Aubrey Plaza, Shia LaBeouf, Jon Voight, Laurence Fishburne.
Le récit d’une fable
La version finale du scénario, retenue par Coppola, retrace une épopée romaine partagée entre le passé, le présent et le futur. Il tire son inspiration de la Conjuration de Catilina, un complot politique orchestré par Lucius Sergius Catilina en 63 av. J.-C. à Rome, qui vise à renverser le pouvoir et à supprimer une partie de l’élite romaine de l’époque. De nombreuses références sont ainsi faites à cet épisode historique. Le récit prend place dans New Rome, une ville moderne, allégorie de New York, qui se veut entremêler le monde occidental avec la capitale de l’Empire romain.
La fable met en scène César Catilina, un scientifique et architecte capable d’arrêter le temps, qui rêve de construire un édifice utopique basé sur une de ses découvertes, le Mégalon. Il se confronte à Franklyn Cicéron (Giancarlo Esposito), le maire ultra-conservateur de New Rome, et à Clodio Pulcher (Shia LaBeouf), neveu du banquier Hamilton Crassus III (Jon Voight) et avide de pouvoir, prêt à tout pour parvenir à ses fins. Julia Cicéron (Nathalie Emmanuel), fille du maire, est partagée entre la loyauté envers son père et son amour pour César Catilina. Elle tente difficilement de guider les deux hommes dans la quête d’un monde meilleur.
Une désillusion totale
En plus de la longue durée de création, le film est aussi très coûteux. Au total, c’est près de 125 millions de dollars que Coppola a dû financer par ses propres moyens. Le financement est principalement généré par l’hypothèque de son vignoble. Plusieurs de ses films ont également eu pour objectif de contribuer au financement de ce projet pharamineux. La combinaison de ces deux variables aboutit à une attente considérable de la part du public. Mais, celui-ci va tomber de haut : le film additionne un accueil raté au Festival de Cannes et un démarrage catastrophique au box-office.
Son arrivée dans les cinémas se traduit par un échec, avec seulement 4 millions de dollars de recettes lors de son week-end d’ouverture. Cependant, Francis Ford Coppola ne semble pas inquiet. Il compare l’accueil fait à Megalopolis avec celui d’Apocalypse Now à l’époque. Une première bande-annonce de Megalopolis avait d’ailleurs déjà fait polémique avant la sortie du film. Diffusée par Lionsgate avant d’être rapidement supprimée, celle-ci contenait de fausses critiques de presse d’Apocalypse Now générées par l’Intelligence Artificielle.
Mais il est important de rappeler que les deux films sont, en réalité, bien différents. Pour un budget de 31 millions de dollars, Apocalypse Now avait récolté au total 150 millions de dollars au box-office mondial. De plus, le film de 1979 avait bénéficié d’un accueil favorable la critique, avec l’obtention de la Palme d’Or lors de la 32ème édition du festival de Cannes, bien loin du bilan raté de Megalopolis lors de la quinzaine de 2024.
Un mois après la sortie de Megalopolis dans les salles de cinéma, la tendance ne s’est pas inversée et la critique globale du public reste défavorable.
Au cœur des polémiques
Le film de Coppola a fait couler de l’encre par son contenu, certes, mais pas seulement. Dès la publication du casting, ses choix sont contestés. Le réalisateur américain a volontairement choisi des acteurs très critiqués pour interpréter des rôles-clé de son film. C’est le cas de Shia Labeouf, accusé d’agression sexuelle par son ancienne petite amie, et de Dustin Hoffman, lui aussi accusé d’agression sexuelle, sur une stagiaire mineure. Entre son addiction à la marijuana et son comportement problématique envers les figurantes, Coppola semble, lui non plus, ne pas avoir été exempt de polémiques.
Après plusieurs mois de tournage, celui-ci s’est révélé avoir été peu conventionnel. Aubrey Plaza, qui incarne le rôle de Wow Platinium, insiste sur le caractère imprévisible du tournage, dans lequel les acteurs ont parfois été amenés à proposer eux-mêmes des scènes à Coppola. Une scène qu’elle joue avec Shia Labeouf est ainsi le fruit de sa contribution personnelle. Par ailleurs, certaines techniques “à l’ancienne” de Coppola ont été critiquées, car elles auraient pu être remplacées par des techniques numériques. Cela aurait permis d’économiser du temps et de l’énergie aux acteurs. L’ensemble de ces méthodes atypiques de tournage ont mis beaucoup de pression sur les artistes et sur les membres de l’équipe, qui ont pour certains quittés le projet à mi-parcours.
Un questionnement sur les sociétés modernes
Une chose est certaine, Mégalopolis divise. Bien que la tendance générale tire le film vers le négatif, les critiques sont particulièrement hétérogènes. Il n’y a pas de position évidente sur le fait que ce long-métrage soit bon ou mauvais. Cependant, la majorité s’accorde à dire que c’est un film qui innove.
La fable se construit autour d’une thèse centrale selon laquelle le changement est initié par l’audace, la créativité et l’innovation. L’invention de César Catilina, le Mégalon, questionne le rôle du numérique et des nouvelles technologies dans le monde moderne. Ce matériau est porté par l’architecte comme “la” solution à tous les problèmes, utilisé aussi bien dans la médecine que dans la construction.
Dans cette fable, le spectateur est transporté dans un monde irréel. L’univers du rêve se développe cependant autour d’une critique des sociétés occidentales. Francis Ford Coppola utilise des personnages satiriques pour poser des interrogations sur certaines facettes de la société moderne. Le réalisateur soulève ainsi les aspects négatifs des nouvelles technologies. Il évoque notamment le problème des deep fakes et de l’utilisation abusive de l’intelligence artificielle par le biais des rôles de Vesta Sweetwater (Grace Vanderwaal) et de Clodio Pulcher. Après les polémiques autour de la bande-annonce mensongère, cela paraît aujourd’hui assez ironique.
Très bien écrit, la plume aiguisée de l’auteur transparaît dans cet article !!