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Blonde, Dahmer, Elvis : la fin de l’ère triomphante des biopics hollywoodiens ?

Blonde, Dahmer, Elvis : la fin de l’ère triomphante des biopics hollywoodiens ?

Biopic Elvis, Blonde, Dahmer. Montage Pépère News Laia Athier-Louboutin

Entre risques artistiques, victimes heurtées et polémiques sur les réseaux sociaux, le genre du biopic, pourtant triomphant à Hollywood durant cette dernière décennie, semble être de plus en plus remis en question par le public, qui dénonce l’excès de production et les différentes dérives.

Il est impossible d’être passé à côté d’un biopic cette année. Entre les figures de la pop culture comme Marilyn Monroe, Elvis ou Lady Diana, les tueurs en série comme Jeffrey Dahmer ou bien les figures politiques telles que Simone Veil, tout le monde semble y passer. L’offre du biopic fleurit depuis déjà 10-20 ans à Hollywood et en ressort vainqueur : depuis les années 2000, 11 acteurs incarnant des figures réelles ont été récompensés.

L’obsession d’Hollywood

Nés en même temps que le cinéma, les premiers biopics étaient des portraits célébrant Jeanne d’Arc ou encore Edgar Allan Poe. C’est après la Seconde Guerre mondiale que le genre commence à aborder le bon et le mauvais côté de ses personnages. Puis, dans les années 2000 naît le désir d’une approche plus expérimentale, avec en exemple phare : Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Ne réalisant pas des documentaires, les cinéastes s’autorisent une certaine subjectivité, simplifiant parfois l’histoire pour captiver l’audience. On peut également citer The Social Network, qui retrace la création de Facebook par Mark Zuckerberg. Le réalisateur David Fincher y ajoute une mésaventure amoureuse pour apporter plus d’intérêt à l’histoire. Il est vrai que le cinéma ne pourra jamais réellement retranscrire une vie, mais lorsque ces ajouts sont mal exécutés, ils peuvent vite virer à l’exploitation et à l’invasion de vie privée.

L’intérêt plus récent des spectateurs pour les biopics s’explique en partie par l’émergence des réseaux sociaux et de la télé-réalité, ainsi que d’une certaine tendance au voyeurisme lorsqu’il s’agit de célébrités. Le public connaît déjà tout de celles-ci, et en demande plus. Mais c’est aussi l’aspect nostalgique qui prône, Melissa Kirsch, journaliste au New York Times, écrit : “La nostalgie est facilement emballée-vendue car elle promet de créer une communauté à partir d’une cohorte”. Bohemian Rhapsody aurait-il eu un aussi grand succès sans la communauté internationale des fans de Queen et la nostalgie des années 1980 ? C’est un bénéfice assuré pour les producteurs, qui, de plus en plus, produisent des films jugés prestigieux par le public. En effet, dans un biopic, le travail des acteurs, des costumiers, mais aussi des scénaristes qui s’inspirent d’événements majeurs de l’Histoire, a une grande renommée à Hollywood. Tim Robey, journaliste au Telegraph écrit qu’un biopic “a toutes les cases cochées. Vous avez une histoire vraie. Vous avez un contexte historique, un cadre prêtant grandeur et importance. Vous avez un arc de vie qui est plus grand, plus significatif d’une certaine manière. 

Pour beaucoup, le biopic ne jouit d’aucune des gloires du cinéma de genre mais souffre de tous ses pièges” – Denis Bingham, Whose lives are they anyway? The biopic as a contemporary film genre.

Les dangers de la fictionnalisation

Le paradoxe du biopic est qu’il est commercialisé comme une représentation fidèle de l’histoire et de ses figures, et pourtant, aucun genre n’est aussi artificiel. Blonde, d’Andrew Dominik, est présenté comme un biopic pour toute personne ne faisant pas ses recherches au préalable. Le film est en réalité basé sur le roman de Joyce Carol Oates. Il dépeint une Marilyn Monroe, ou une Norma Jean, comme le scénario semble insister tout au long du film, dans des situations irréelles, qui ne font qu’exploiter et tâcher la réputation d’une femme qui n’est plus là pour s’en défendre. La scène, fictionnelle, la plus marquante est sûrement le viol infligé par John F.Kennedy. Pourquoi tâcher la réputation d’un homme qui n’a rien demandé, dans une relation pour laquelle nous n’avons aucune preuve? Pourquoi faire avorter deux fois M. Monroe au cours du film, alors que celle-ci souffrait de son infertilité ? Ces scènes ne sont pas nécessaires et elles diabolisent l’avortement : les scènes représentant son foetus ont notamment été fortement critiquées par le Planning Familial.

Ces ajouts n’ont donc pas leur place au coté de faits réels et importants, au nom de l’expérimentation. Il en est de même du film House of Gucci, traitant du meurtre de Maurizio Gucci par sa femme Patrizia Reggiani. La famille Gucci a publié un communiqué, se sentant heurtée par son portrait et prenant les ajouts fictionnels comme une “insulte”. Les cinéastes ont tendance à centrer leurs films autour de quelques éléments en ajoutant leur patte artistique, parfois au détriment de leur sujet, en s’emportant dans des histoires farfelues, qui vont parfois jusqu’au mensonge grotesque.

Florence Andrews , Al Pacino , Jared Leto , Lady Gaga et Adam Driver dans "House of Gucci" de Ridley Scott (2021)
House of Gucci de Riddley Scott (2021) © Metro-Goldwyn Mayer Pictures.Inc. All Rights Reserved

Une différence de traitement entre les hommes et les femmes

Denis Bingham parle dans son livre des biopics des années 1930 : “Les biopics de femmes étaient alourdis par des mythes de souffrance, de victimisation et d’échec perpétrés par une culture dont les films révèlent une peur aiguë des femmes dans le domaine public”. Une vérité qui semble pourtant encore résonner aujourd’hui. Toujours dans Blonde, M. Monroe n’est vue qu’à travers ses relations tumultueuses avec des hommes, que ce soit son père ou ses amants. Ses réels traumatismes sont grossièrement amplifiés.

D’un autre côté, les biopics masculins tendent vers la glorification. Les excès des rockstars telles qu’Elvis ou Freddy Mercury sont lissés, pour laisser place à une version héroïque de ces hommes. Dans Elvis, celui-ci est présenté comme un avocat des Civil Rights, célébré par la communauté noire dont il s’est inspiré dans sa musique. En vérité, le film oublie de traiter du privilège d’Elvis en tant qu’artiste blanc et de la colère de ses confrères noirs. Little Richard, qui a fortement inspiré Elvis, a partagé son mécontentement : “Je pense que si Elvis avait été noir, il n’aurait pas été aussi célèbre. Si j’avais été blanc, vous savez à quel point j’aurais réussi ?”. Le film survole également la fin orageuse de sa vie, n’explorant que peu la face cachée de ce héros national.

Des victimes négligées et une curiosité malsaine

Le genre du true crime est de plus en plus présent dans les médias, ce qui se retranscrit directement dans les biopics. Malgré notre fascination secrète pour les faits divers, leur traitement pose problème. Les crimes sont généralement récents, comme dans House of Gucci précédemment cité, ou bien dans la nouvelle série phare de Netflix : Dahmer. Les victimes et leurs familles revivent leurs traumatismes sur grand écran et subissent la romantisation du coupable par le public. Est-ce judicieux de choisir des acteurs tels que Evan Peters, Zac Efron ou Colin Firth pour incarner des assassins ? Les victimes sont malheureusement les grandes oubliées de l’histoire, il est effectivement difficile de sympathiser avec un personnage qui n’a que quelques minutes à l’écran. C’est également des victimes qui ne donnent pas forcément leur consentement, comme Pamela Anderson, qui a revécu la publication de sa sextape dans la série Pam and Tommy. Il semblerait plus raisonnable de laisser ce genre au documentaire qui permet de mieux retranscrire l’horreur de ces histoires et de donner la parole aux victimes. De même, des rumeurs circulent quant à un biopic sur le procès Depp vs Heard (qui s’est tenu il y a quelque mois à peine), qui aurait déjà été tourné.

Quelle serait alors la recette d’un bon biopic ? Malheureusement il ne semble pas y en avoir. Ce qui est sûr c’est que le public, qui en témoigne sur les réseaux sociaux, semble de plus en plus lassé par cette offre et demande des tournures plus proches et respectueuses de la réalité. Le secret serait peut-être de ralentir la production, qui se fait au détriment d’histoires originales, tout aussi intéressantes.

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