Portrait : Vito, le dessinateur qui veut changer le monde
Dessinateur lillois, Vito est une figure de la revue La Décroissance : “le journal de la joie de vivre”, diffusé dans tous les bons kiosques. Dans un style réaliste, il offre une vision concrète d’un futur utopique.
Grand, coiffé d’un bonnet, vêtu d’un pull en laine et d’un pantalon noir, Vito travaille pour le journal La Décroissance depuis cinq ans. Aujourd’hui, ce média est le porte-parole d’un véritable mouvement qui défend ses idées et ses valeurs. Très actif, l’Hellemmois a publié récemment deux BD. Dans Utopique! en 2020 puis La Raison du plus simple en 2022, il dessine, pense et défend une utopie décroissante en mêlant humour et argumentation. Vito a aussi conçu le premier numéro hors-série de la BD Lille mystérieuse au mois de mars. Le dessinateur y met en scène la suppression du périphérique lillois, afin de “libérer les cyclistes enfermés dans leur voiture !”.
Retrouver du sens grâce à l’écologie
Avril 2022, les affiches blanches détonnent sur les murs en briques rouges. Les Lillois ont eu la surprise de découvrir des écriteaux frappés de logos officiels : la municipalité de Lille et la MEL proclament l’interdiction des voitures dans la cité. Sur les affiches, les rues entourant la Vieille Bourse, la Grand’Place et le “Bar de la Vélorution” sont investies par des enfants joyeux et une ribambelle de cyclistes. Mais ce n’était qu’un poisson d’avril… Lille est toujours surpeuplée de citadines, 4×4 et autres utilitaires. Ce 1er avril-là, comme souvent, Vito a employé ses dessins pour penser et faire penser la ville de demain.
“Aujourd’hui, Hellemmes c’est le bagnolistan”, regrette Vito. Farouchement opposé aux voitures, il ne se déplace qu’en vélo cargo. Pratiques, les vélos cargos sont conçus pour transporter des charges lourdes grâce à une caisse attachée à l’avant. Cela lui permet de retrouver un rapport plus humain à la vitesse mais aussi aux distances qu’il parcourt. L’utopie, selon lui, c’est remettre les choses à taille humaine. Les mobilités, les villes, les rues… Tout doit être repensé tant le modèle actuel est insoutenable pour les humains que pour la planète. Ainsi, Vito défend l’utilisation du train, plus écolo et alternatif que la voiture. Moins agressif aussi : “Je préfère pic-niquer à côté d’une voie ferrée que d’une voie rapide !” argumente-t-il.
Le quadragénaire travaillait auparavant dans une agence d’architecture : “C’était un métier un peu insensé : je passais mon temps à dessiner des bâtiments désastreux sur le plan écologique”, se souvient-t-il. Il garde de cette vie précédente un intérêt pour les lieux, l’urbain, le rural et la manière d’articuler ces espaces pour créer un monde cohérent. Cette vision prend forme dans ses BD à travers de grandes fresques, sur des doubles pages très colorées et riches en détail.
Remodeler l’espace urbain
Un lieu pour vivre, un lieu pour produire, un lieu pour acheter. Loin du modèle actuel, Vito trace les contours de sa ville idéale. Elle doit être “poreuse”. Aujourd’hui, chaque classe sociale a sa géographie : les zones commerciales sont parquées en dehors des villes tout comme les espaces agricoles. La vision du dessinateur est simple : mélanger les espaces en créant de la mixité, du poreux. L’urbain redevient un espace à taille humaine. Les classes sociales se rencontrent, les commerces de proximité remplacent les zones commerciales et les potagers urbains réapprennent aux humains le travail manuel. En revanche, Vito préconise une croissance sans limite des espaces dédiés aux parcs, espaces verts et jardins.
La ville dont il rêve est inspirée d’exemples réels. Il connaît très bien le quartier légendaire de Christiania à Copenhague, auquel il consacre une double page dans Utopique!. Ce quartier, baptisé “ville libre de Christiania” est un exemple de ville décroissante et autogérée. Véritable paradis vert, le quartier est investi dans les années 1970 par des familles souhaitant vivre loin des règles de la société. Jusqu’en 2013, Christiania a fonctionné comme une communauté intentionnelle autogérée.
Les lectures qui l’ont influencé
En plus des exemples réels, l’objecteur de croissance va aussi chercher ses références dans la littérature. Il apprécie le philosophe Ivan Illich. Comme l’explique ce penseur, les progrès techniques facilitent la vie des humains mais ils deviennent nocifs au-delà de certains seuils. Par exemple, le passage du vélo à la voiture s’est traduit par l’apparition de nouvelles attaques contre la nature et de ce que Vito appelle “la violence motorisée”.
Le dessinateur a aussi apprécié Ce qu’il faut de terre à l’homme, une BD de Martin Veyron inspirée d’une nouvelle de Tolstoï : conte philosophique sur l’insatisfaction et la cupidité de l’humain.
Un paysan en ville
Son endroit préféré ? Un jardin communautaire lillois où il a l’impression d’être à la campagne et de se reconnecter au cycle des saisons. Selon l’Hellemmois, nous manquons aujourd’hui de paysans. Il plaide donc pour une diminution de l’utilisation des machines et une augmentation du travail manuel, grâce à un quart-temps paysan par exemple. “Le principe est de consacrer une partie de son temps de travail à des activités paysannes et collectives. Cela peut se traduire par une aide concrète aux paysans, aux maraîchers, ou encore à l’entretien des communs”. L’idée est de recréer du commun paysan. Vito défend le retour à une logique parcellaire. Les cultures seraient plus petites, à taille humaine. Certains terrains devraient être exploités en commun et d’autres individuellement.
Fini les exploitations agricoles uniformes et gigantesques. Dans ses BD comme dans ses jardins, le dessinateur utilise la polyculture, le bocage et la polyculture-élevage qui permettent de développer ensemble la faune et la flore dans une même exploitation agricole de sorte à respecter la biodiversité. Il apprécie aussi l’idée d’un agencement des cultures en “ligne de clef”, une manière d’articuler le paysage et les récoltes de sorte à permettre une meilleure infiltration des eaux de pluie dans les sols. Aujourd’hui, le dessinateur explique que la monoculture et les sols a nu créent “un excès d’eau de ruissellement sur le terrain”. Dans le milieu rural agricole, l’arrivée du poreux serait une révolution.
En réalité, Vito n’a jamais cessé d’être architecte : architecte d’une vie meilleure, plus douce, plus heureuse. Celle dont il rêve pour ses enfants. En mars, il a dessiné une BD pour Lille mystérieuse où il imagine une refonte ambitieuse du périphérique lillois. Ce dernier deviendrait une ceinture verte encerclant Lille. Plus tard, Vito espère que ses dessins finiront par prendre vie.