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Babylon : le Hollywood dépravé des années 20 par Damien Chazelle

Babylon : le Hollywood dépravé des années 20 par Damien Chazelle

Margot Robbie dans "Babylon" de Damien Chazelle

Après les succès de La La Land et Whiplash, Damien Chazelle revient en ce début d’année avec un projet d’envergure, aussi tragique que fascinant. En salle depuis le 18 janvier 2023, Babylon permet à son spectateur de voyager au coeur d’une période fondamentale de l’histoire du cinéma : les années 20. Avec cette œuvre cinématographique mémorable (3h10 quand même), le réalisateur montre la volonté d’imposer sa voix singulière aux côtés des grands d’Hollywood.

Longtemps critiqué pour son manque de noblesse (parallèlement au théâtre), au début du XXe siècle, le cinéma acquiert une reconnaissance auprès de la société. La fulgurante ascension des acteurs est pourtant vite bouleversée par l’arrivée du cinéma parlant. Si cette révolution technique impacte les acteurs, elle remet aussi en cause tout un système précédemment établi. En déroulant son intrigue dans les soirées électriques des années 20, Damien Chazelle entend justement peindre cette période charnière. Magistrale, musicale et haute en couleurs, Babylon est une œuvre complète, riche en émotion, écrite sur et pour le cinéma.

La critique de l’industrie historique du cinéma

Dès la première scène du film, Chazelle nous révèle ses intentions, et le ton que prendra son film. Mélange entre le drame, la comédie et le film historique, Babylon plonge le spectateur au cœur de la bohème du Hollywood des années 20. Dans ce décor décadent et en désordre sans limite, trois personnages se détachent : Manny Torres (Diego Clava), un jeune Mexicain idéaliste, Nelly Laroy (Margot Robbie), actrice naissante endiablée et Jack Conrad (Brad Pitt), acteur célèbre en déclin. Opposés en apparence, ces trois personnages se retrouvent plus ou moins liés par leurs ambitions et leur passion pour le cinéma.

Diego Calva and Lukas Haas rejoice in "Babylon."
Diego Calva (Manny Torres) dans “Babylon” de Damien Chazelle © Paramount Pictures

Par ce film qui revient sur l’influence naissante du cinéma parlant, Damien Chazelle entend dénoncer un milieu froid, sans pitié, qui engloutie progressivement ses acteurs pour devenir une sorte de machine-industrie. Si Babylon propose une vision satyrique du cinéma Hollywoodien, il n’en rejette pas pour autant les fondamentaux. Dans le film, les références sont nombreuses. On peut relever un certain parallèle avec Once Upon a Time in Hollywood de Tarantino (autant pour son intrigue que dans son casting : Brad Pitt et Margot Robbie) ou Gatsby le Magnifique de Baz Luhrmann (pour les scènes festives).

Les personnages sont fictifs, mais le réalisateur ne nie pas l’influence d’autres acteurs célèbres pour leur construction. Il est ainsi possible de trouver des échos aux acteurs John Gilbert (La Chair et le Diable) et Clark Gable (Autant en emporte le vent) pour Jack Conrad ou Clara Bow (Le Coup de foudre) pour Nelly Laroy. Conscientes ou inconscientes, toutes ces références finissent par converger vers le film Chantons sous la Pluie, dont Chazelle exploite l’essence, pour en proposer une alternative cynique et moderne.

Une œuvre magistrale mais déroutante

Poursuivant la lignée de ses précédents succès, Damien Chazelle continue d’exploiter son goût pour le jazz, avec Justin Hurwitz, en tant que compositeur de la bande originale. Dans ses films, Chazelle se plaît aussi à explorer la part d’ombre qui plane sur le milieu artistique. Babylon n’en fait bien sûr pas l’exception. C’est ainsi que par ses scènes, le film arrive à plonger le spectateur dans les décombres les plus profonds de l’industrie. Par l’illustration d’un excès poussé à son paroxysme, le réalisateur joue avec l’imaginaire de son public. Confronté à cette réalité plus excentrique et lugubre, le spectateur se voit dépouillé de la vision lisse qu’il portait jusqu’ici sur le milieu.

Les dernières minutes de Babylon, pêle-mêle de séquences rappelant l’histoire du cinéma, sont à l’image de l’ensemble. Le film est une expérience sensorielle à vivre au cinéma, une véritable mine d’or pour les cinéphiles et intéressante pour son coté historique. Les performances techniques et artistiques retranscrivent assez bien la fougue des années 20. Cependant, quelques passages semblent inégaux et inachevés. Ainsi, par sa volonté de tout peindre, Damien Chazelle risque parfois de perdre le spectateur. Malgré ces quelques défauts, Babylon, est une œuvre indéniablement marquante qui a le mérite d’oser.

Un échos à l’actualité

Certes, le film offre au spectateur un long retour sur la mutation des années 20, mais les problématiques qui se posaient à l’époque sont universelles. La menace qui pèse sur le cinéma muet peut s’afficher comme un miroir de la situation actuelle du milieu. Avec l’arrivée des plateformes de streaming, et les évolutions techniques, une certaine vision du cinéma, souvent mainstream, s’impose, au détriment des productions artisanales et indépendantes.

Dans Babylon, Damien Chazelle revient également sur la question de la représentation des femmes. Acceptées sans contestations dans les années 20, les réalisatrices féminines ont progressivement disparues, laissant un milieu dirigé et dominé par des hommes blancs. La récente annonce des nominations pour les Oscars vient conforter ce malheureux constat. L’absence de diversité persiste. Dans un contexte de crise permanente, il semble donc urgent que le cinéma d’aujourd’hui se réinvente. Le chemin ne sera pas dénué de difficultés, mais l’effort est nécessaire.

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