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Le tatouage, un Art ou un marché ?

Le tatouage, un Art ou un marché ?

Man Yuk de Nam Tatouage en train de marquer la peau d'un client, devenu support de son œuvre. Crédit : Louis Deroo

La 8ème édition de l’International Lille Tattoo Festival s’est déroulée le week-end du 3 au 5 février 2023. Avec un panel de 370 tatoueurs aux différents styles et origines, 20.000 visiteurs, de multiples animations et concerts organisés, la convention signe un nouveau succès. L’occasion de découvrir le monde du tatouage et d’aller à la rencontre de ces artistes proposant des motifs symboliques et créatifs à même la peau.

À l’origine, les tatouages proviennent des cultures tribales et de rites cultuels avant de devenir un signe de reconnaissance pour les marins, les prisonniers et les criminels. Dans les années 80, ils étaient la pratique des motards et des rockeurs et restaient une culture marginale et mal vue. Aujourd’hui, les tatoués sont plus nombreux et moins perçus négativement dans l’opinion publique. En témoigne l’International Tattoo Festival, organisé en plein centre du Grand Palais de Lille.

Le monde du tatouage en pleine effervescence

Cette démocratisation du tatouage se répercute dans les chiffres de fréquentation du festival : on décomptait 14.000 visiteurs l’année dernière contre 20.000 cette année. Il y a une véritable effervescence à mesure que la pratique se développe. Les propositions des tatoueurs parlent à plus de monde et de nombreux étudiants sortis d’écoles d’art se dirigent vers cette profession. Tous les soirs du festival à 19h30, un jury sélectionne les meilleurs tatouages effectués dans la journée dans différentes catégories : Japan-Culture (mangas, culture pop-japonaise), Old School (tatouages traditionnels américains), Ethnic (d’origine tribale, polynésienne), Black Work (tout en noir, mode du moment) ou encore Réaliste. Le panel est large et de multiples cultures sont représentées.

Chaque année, des centaines de personnes attendent le festival avec impatience et repèrent à l’avance les tatoueurs présents lors de l’événement sur les réseaux sociaux. Ceux-ci viennent en effet de villes voire de pays différents, ce qui permet à des personnes ayant repéré un style de se faire tatouer au sein même du festival. La plupart des tatoueurs ont tous leurs créneaux réservés à l’avance et passent leur journée à marquer définitivement les peaux des festivaliers. C’est ainsi que la balade dans le festival est rythmée par le bruit électrique des machines à tatouer et les multiples corps allongés, plus ou moins souffrants, à mesure que le tatouage s’inscrit dans l’épiderme.

Des rangées entières de personnes se faisant tatouer. © Louis Deroo / Pépère News

Marco, tatoueur chez Tit for Tat à Lille a, quant à lui, choisi de ne pas se surcharger de rendez-vous comme certains de ses collègues “déjà bookés à l’ouverture”. Pour lui, cette explosion du marché des tatouages est “due aux émissions télé et aux effets de mode”. Aujourd’hui il y a l’embarras du choix si l’on compare à 2007 quand j’ai commencé le tatouage, explique-t-il. Avec l’explosion du marché, il y a un amalgame entre le savoir-faire et les motifs faciles fait en 5 minutes sur un iPad”. La démocratisation du tatouage a permis à un grand nombre de personnes de se lancer dans le marché en copiant des motifs ou des modèles de personnages de manga connus par exemple. Pourtant, il y a un réel savoir-faire chez les tatoueurs ayant effectué des études dans le dessin. Leurs motifs sont plus créatifs, minutieux, adaptés au corps et prennent du temps à être inventés puis tatoués sur la peau.

Un espace de créativité soumis à la demande

À l’International Lille Tattoo Festival, il y a plus que le fameux symbole daté, “le carpe diem”. Les anciens symboles chrétiens, médiévaux ou encore les personnages de la pop-culture (Pokémon, One Piece, Dragon Ball, Batman, ect.) deviennent un terrain de jeu pour les tatoueurs, avec une culture du “subversif“.

Tous ces univers sont porteurs de sens. Les personnes tatoueés souhaitent pour une partie d’entre elles, encrer à vie ce qui les représente : un moment, un proche, un mot, une valeur ou une ornementation. Cela peut servir de témoignage extérieur de leur personnalité ou de leur histoire. D’où l’importance de ces artistes tatoueurs, de vrais dessinateurs de formation.

Il y a en effet une forte identité selon leurs univers et styles, ce qui pousse les clients à bien sélectionner leur tatoueur. Les “flashs” sont des tatouages prêt-à-porter prisés car souvent moins chers, moins voyants et moins long à “piquer” qui se doivent justement d’être clairs et éloquents sur une petite surface.

La maîtrise des symboliques par Fleur de Guillotine. © Instagram, Fleur de Guillotine.

Sylvester Bloom qui est tatoueur depuis 6 ans réinterprète par exemple le style américain “Old-School”, un “style propre au tattoo, aux traits épais et aux motifs colorés”. Il ajoute à l’inspiration du monde des marins et de la prison un genre “cartoonesque” qui lui donne un style très reconnaissable. “Je cherche des références dans les anciens motifs et la culture américaine et je regarde leurs précédents usages pour ne pas trahir ces symboles”, explique le tatoueur.

Il revisite ainsi des motifs allant des ancres de mer et des croix chrétiennes à Donald Duck ou encore Robocop. La culture populaire est aussi importante en termes de symbolique que les modèles classiques. Erico de Néon Cobra Tattoo, à Strasbourg, produit par exemple des designs abstraits inspirés de motifs tribaux. “On constate qu’il y a certains motifs qui marchent mieux que d’autres et donc on essaye d’innover dans ces designs pour proposer aux clients quelque-chose qu’ils n’ont pas encore vu”, raconte-t-il.

Portfolio des “flashs” de Sylvester Bloom. © Louis Deroo / Pépère News

Sur beaucoup de points, le milieu du tatouage est similaire à celui de l’art graphique : il est à la fois commercial – soumis à un marché et à des tendances – et créatif. La majorité du revenu des tattoo-shops provient des commandes personnelles plutôt que des motifs proposés par les artistes. Certains salons sont d’ailleurs spécialisés dans ce domaine. Il est donc difficile de parler d’une activité libre purement artistique au premier sens du terme.

Le tatouage est plutôt un espace qui laisse place à une part plus ou moins importante de créativité. Il peut justement y avoir un plaisir dans cette forme de création encadrée par le désir du client. Pour Nam Tatouage et ses motifs inspirés de la culture asiatique, “c’est justement quand le client laisse une part de création que le tatouage est réussi”. Cela n’empêche pas les tatoueurs de dessiner et produire des œuvres à côté, en inventant de réels personnages et univers de toute pièce, comme dans une bande dessinée.

Tatouage et graffiti : une expression libre et instinctive

Rien n’empêche aussi d’envisager les tatouages comme une forme de création libre et purement artistique. Le festival a aussi proposé un terrain de support libre pour les grapheurs, montrant un lien entre ces deux pratiques. L’artiste Cri7mi, qui a exposé ses productions est aussi un tatoueur et se sert de la peau pour exposer ses motifs d’une autre manière. Aksetattoo de La Main Bleu à Saint-Ghislain, en Belgique, est aussi un grapheur-tatoueur ayant comme motivation le simple “amour du lettrage sans couleur”.

Dans les deux pratiques, le côté instinctif et pulsionnel prime dans la création. Elles sont un acte d’expression souvent libre et purement ornemental. Thomas de La Librairie, un commerce de produits et d’ouvrages liés au graph’ à Dunkerque, explique que “les deux cultures furent urbaines, d’origine marginale et issues de la volonté d’hommes de l’ombre”. Elles sont des “pulsions artistiques de dessinateurs. D’abord tu commences un tatouage et ensuite tu continues, par pure satisfaction”, explique-t-il. C’est ce qui donne ces résultats assez abstraits, instinctifs, comme un premier jet ou un gribouillage.

Aksetattoo en plein graf’ dans le carré d’expression libre. © Louis Deroo / Pépère News

Juliette de New Factory Tattoo à Bordeaux est sortie d’une école d’art, lui offrant une maîtrise du dessin. Elle compose notamment avec le bestiaire (manuscrit du Moyen-Âge), l’iconographie religieuse du Moyen-Âge et son langage universel. Pour elle, la spécialité de la pratique du tatouage est sa capacité à “harmoniser le corps et composer selon les zones du corps selon sa morphologie”. Cela laisse une part à l’adaptation. Lors de ses créations, plus qu’une réflexion, c’est “la main qui guide”. Ce n’est ainsi pas forcément un sens que l’on recherche par le tatouage mais un plaisir à regarder.

Le tatouage peut-être une forme d’expression graphique ouverte au-delà d’un simple marché de mode. Elle peut accueillir autant d’artistes ayant un message à faire passer grâce au support de la peau, que des artistes sans prétention s’exprimant instinctivement par pulsion de création. Ils réinterprètent ainsi sans cesse symboles, formes et personnages avec le support complexe que représente le corps humain. Ces artistes aboutissent à des résultats surprenants, esthétiques voire mystiques par leur absence de signification claire. On retrouve quelque-chose de l’origine du tatouage, cet aspect tribal, mystérieux et ésotérique. La véritable exposition de ces œuvres, loin des toiles et des musées, est la peau elle-même.

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