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À Lille, certains étudiants étrangers peinent à s’intégrer

À Lille, certains étudiants étrangers peinent à s’intégrer

Xin-Jie Lee et Martha Delli, étudiants à Lille, lors d'un repas interculturel

Lille est un lieu prisé pour les étudiants internationaux. D’après l’Université de Lille, environ 13% des étudiants sont étrangers dans le cadre d’une mobilité internationale. Malgré la popularité de la ville, certains peinent à s’intégrer et à se lier aux étudiants français. C’est le cas d’Amadou Tidiane Kane et Xin-Jie Lee, deux étudiants de 22 ans qui nous ouvrent la porte de leur collocation.

Amadou est en première année de licence de science politique à la faculté de droit de Lille 2. Après s’être vu refuser sa réorientation à Dakar, au Sénégal, il décide de poursuivre ses études en France. Xin-Jie est Taïwanaise, et étudie les relations internationales depuis 4 ans. En partenariat avec son université à Taipei, la capitale Taïwanaise, elle intègre pour une année scolaire Science Po Lille.

Le Pépère News (PN) : Pourquoi choisir de quitter son pays pour aller étudier dans un autre ?

Amadou Tidiane Kane : Dès que j’ai eu mon acceptation, j’ai commencé à faire des recherches sur la ville. Je me disais qu’à Lille je pourrais vivre une vie d’étudiant normal, être plus indépendant. Je voulais être autonome, vivre où personne ne me connaissait, repartir de zéro. J’ai vu Lille comme la ville idéale. Je dois l’avouer, j’aime bien l’architecture lilloise. Je savais qu’il suffisait d’être sur place et de s’adapter. Je tombe de plus en plus amoureux de la ville. J’ai eu quelques problèmes en arrivant, à cause du froid mais malgré le climat, j’adore la ville et je resterai.

Xin-Jie : Je voulais connaître du monde et me faire des amis qui viennent de différents pays, on peut partager nos expériences de vie en fonction de notre culture. Je pense que c’est intéressant de partager nos différences. C’est aussi un bon entraînement pour les langues.

PN : De ce que vous connaissez désormais de Lille, quel en est votre ressenti global ?

A : Les gens ne sont pas très amicaux. À Dakar, j’avais une vie très animée. J’avais un très grand entourage, pleins d’amis. J’étais heureux, je ne me sentais jamais seul, je ne déprimais pas. La première semaine à Lille, j’ai voulu rentrer. Je déprimais beaucoup, je me sentais seul. Depuis que j’ai commencé l’école, je n’ai pas d’amis. Dans mon pays, on ne connaît pas ça ! Chez nous, tu peux parler facilement avec n’importe qui. Ici, les gens sont constamment scotchés à leur téléphone. Que ce soit dans le métro ou dans la rue, personne ne parle avec personne.

Parler avec des gens, ça me guérit, le temps passe plus vite. Je peux être sur mon téléphone, écouter de la musique, mais tant que tu n’as pas de dialogue, tu as la sensation d’être seul. Bien sûr que la technologie est importante, et c’est incroyable de pouvoir parler à ses proches à distance, mais vivre l’instant présent, ça fait du bien. Même si les gens sont sociables ici, il y a une espèce de barrière. Je le vois dans le regard des gens. J’ai des problèmes à récupérer mes cours. J’ai une maladie, j’ai manqué de nombreuses séances. Dans la promo, il devrait y avoir une bonne entraide entre les étudiants, mais seuls les petits groupes échangent entre eux.

X : Il y a beaucoup de grèves et de travaux. Pour nous, les Taïwanais, c’est difficile de s’y habituer. Un point positif à Lille, c’est de fumer sans ressentir de la culpabilité ! À Taïwan, tu serais facilement critiqué. J’aime les transports, le fait qu’on ne porte plus le masque. Dans mon pays, la politique COVID est encore dure. Je pense qu’ici je peux respirer librement. Les frais de la vie quotidienne sont aussi moins coûteux.

PN : D’après votre expérience, quel est le meilleur système éducatif entre la France et votre pays d’origine ?

A : Sans hésiter, je dirais ici. Au Sénégal, on a pris en compte ni mon projet personnel, ni ma réorientation. Il y a régulièrement des grèves, des problèmes de versements de bourses. Je pense que les profs abusent de leur statut. Ils ne sont pas assez présents et même s’ils enseignent bien, il n’y a pas suffisamment de rigueur. En France, il y a plus d’opportunités. Par exemple, j’étais à l’hôpital il y a quelques temps où j’ai croisé de très jeunes infirmiers. Au Sénégal, c’est plus rare. En France, les étudiants sont plus facilement insérés dans la vie active.

X : C’est une question compliquée. Je pense que les cours en France sont plus durs, en tout cas à Science Po. À Taïwan, tu peux rater des cours et passer l’examen sans soucis. Je passais plus de temps à la fac dans mon pays, mais en France le contenu de mes cours est plus complexe.

PN : Quelles sont les différences de mentalités par rapport à votre pays d’origine ? 

A : Il y a une très grande différence, qui a un lien avec ma difficulté à m’adapter à la France. Les français sont individualistes, un peu comme tout le monde finalement. Au Sénégal, on vit en famille, on est très soudés. En France, on est comme dans Matrix, ou Blade Runner ! C’est l’exemple parfait de cette société. Les gens ont l’air énervés. C’est mon point de vu, mais peut-être que les gens sont juste très occupés.

X : Selon mes observations, je crois que les Taïwanais respectent plus facilement les règles “morales” de la société. Ça nous donne plus de stress, on a peur que les gens nous critiquent. Pour éviter les remarques, on doit respecter le règlement à la lettre. Je crois qu’en France les gens sont plus libres. On en revient aussi à la question de l’apparence : en France, il y a plus de diversité. Je crois que c’est pour ça que les gens sont plus ouverts d’esprit. A Taïwan, un étranger se fera souvent observer.

PN : Vous considérez-vous bien intégrés à cette vie lilloise ?

A : Je m’intègre bien sur toute la partie pédagogique, universitaire. Sur le domaine social, humain, c’est plus compliqué. Quand je suis arrivé, mon père m’a dit qu’ici, ce n’était pas comme le Sénégal : il ne faut pas être “trop sociable” ni ” trop tactile”.

X : Je crois que j’ai réussi partiellement à m’intégrer. Certains asiatiques qui vivent en France ont fait face au racisme. À Lille, pour ma part, jamais. Je pense vivre comme une Lilloise, mais il y a un problème : à Science Po, c’est compliqué de rencontrer des Français. Ils ont tendance à rester entre eux. La plupart de ces étudiants ne parlent pas avec les internationaux, chacun est de son côté. Ils nous parlent seulement quand ils demandent un briquet ! Attention, il y a des groupes internationaux, gérés par des étudiants français qui souhaitent nous rencontrer. Malgré ces associations, nos échanges avec eux se limitent souvent aux cours. J’ai demandé à des amis de Grèce et ils pensent la même chose : seulement pour le briquet !

PN : Est-ce facile de passer par l’administration ?

A : C’est assez compliqué car beaucoup de demandes de visa sont rejetées. C’est injuste. Au départ, mon dossier n’a pas été accepté. On me reprochait de ne pas avoir les moyens pour vivre en France, alors que j’avais tout ce qu’il fallait. Après s’être rendu compte de leur erreur grâce à un proche qui a contacté l’ambassade, ils m’ont rappelé. Tous n’ont pas cette chance.

X : Le visa est assez cher, aux alentours de 400 euros. Pour étudier c’est assez facile, car les administrations sont habituées à ce processus. Ce n’est pas très difficile mais gênant car la demande est assez longue.

Même si Lille s’affiche comme étant l’une des villes étudiantes les plus attractives de France, de nombreux étrangers font face à certains obstacles : barrière de la langue, démarches administratives, différences de culture et de mentalité, … Aujourd’hui, Xin-Jie parcourt les différentes villes de France pendant son temps libre. En mai 2023, elle retournera à Taïwan pour terminer ses études. “Lille me manquera beaucoup“, confie-t’elle. Amadou souhaite quant à lui poursuivre sa licence de science politique. Malgré le mal du pays, il s’est promis de persévérer pour mener à bien son parcours scolaire. 

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