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Le monde du tatouage de nouveau visé par une loi européenne

Le monde du tatouage de nouveau visé par une loi européenne

Le 4 janvier dernier est entrée en vigueur une nouvelle législation européenne concernant l’interdiction d’une vingtaine de pigments contenus dans les encres de tatouage. Retour sur cette loi avec des artistes tatoueurs lillois. 

Après les aiguilles, c’est au tour des encres d’être passées au crible des normes européennes. Suite à des études sur leur dangerosité pour la santé, l’Union Européenne a décidé d’interdire l’utilisation de 25 pigments et de diminuer de manière drastique la concentration maximale autorisée de milliers de substances. Cette décision réduit considérablement les offres sur le marché européen et les possibilités de création pour les artistes.

Des substances jugées à risque pour la santé

Fin 2020, un rapport de l’ECHA (Agence Européenne des Produits Chimiques), commandé par la Commission européenne, établit des risques sanitaires liés aux encres de tatouage et de maquillage permanents. L’agence affirme qu’elles contiennent des “substances chimiques toxiques pour la reproduction ainsi que les sensibilisants et irritants cutanés”, et déplore “d’autres effets plus graves sur la santé, comme des mutations génétiques et des cancers”.

Une enquête menée par le magazine Que Choisir, publiée en février 2021, confirme le caractère cancérigène de ces composantes. Le magazine y dévoile l’analyse de 20 encres sélectionnées parmi les plus utilisées en France. Principalement importées des États-Unis, seules cinq s’avèrent être aux normes européennes. Les autres contiennent toutes des taux de substances à risques supérieurs aux seuils réglementaires. Considérant l’ampleur du risque sanitaire, le magazine a saisi la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, ainsi que l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament pour procéder au retrait et au rappel des produits dangereux identifiés.

6ème édition de la Convention Internationale du tatouage de Lille
L’Union Européenne a décidé d’interdire l’utilisation de 25 pigments © Maxine Marchand / PépèreNews

De la législation à la pratique

Après l’annonce de cette décision, nombreux étaient les professionnels qui ne croyaient toujours pas à l’avènement de cette loi. Pourtant c’est bien le cas : à partir du 4 janvier, la majorité des pigments rouges, jaunes et oranges sont prohibés, et 4.000 substances présentes dans la majeure partie des encres voient leur seuil considérablement baissé. De plus, de nouvelles exigences sur les mentions obligatoires des étiquettes font leur apparition. Concernant les pigments bleu et vert, il faut attendre encore un an avant de les voir disparaître du marché.

“On ne nous dit pas grand-chose.” – Morgana, tatoueuse chez Freaky Family

Ces réglementations nécessitent une véritable transformation des usines de fabrication, et les fournisseurs européens ne se semblent pas s’être adaptés malgré le délai donné. Aujourd’hui, une compétitivité est crainte avec les fabricants et artistes tatoueurs hors Europe. Les professionnels restent dans le flou quant au futur proche de leur métier. La tatoueuse Morgana du salon lillois Freaky Family déplore le manque de communication sur les détails d’application de cette loi : “étant donné qu’on ne nous dit pas grand-chose, ça devient difficile de voir dans l’avenir comment cela va nous gêner.”

Une décision qui ne fait pas consensus dans le monde du tatouage

Le Syndicat National des Artistes Tatoueurs (SNAT) s’insurge : une telle restriction entraîne la réduction de 60% des gammes de couleur. Les 27 pigments prochainement interdits constituent la majeure partie de la palette pigmentaire des grandes marques les plus diffusées en Europe. Même si le syndicat estime que “la limitation des substances est positive”, il trouve les taux trop bas et incohérents.

Sur le site du Parlement européen, une pétition a été lancée en janvier 2021 afin d’ouvrir le dialogue sur l’avenir du monde du tatouage. Fin décembre, elle comptait plus de 175.000 signatures. À travers ce mouvement, le SNAT veut exprimer ses revendications : une prolongation de la période transitoire, la suspension de l’interdiction du pigment bleu, ainsi qu’une clarification juridique.

© JahdE (Flickr)
Les 27 pigments prochainement interdits constituent la majeure partie de la palette pigmentaire des grandes marques les plus diffusées en Europe. © JahdE (Flickr)

Les artistes eux-mêmes sont en perte de repères, notamment pour ceux spécialisés dans la couleur. Chez Freaky Family, la tatoueuse Morgana est révoltée : “je ne vais certainement pas m’arrêter de travailler.”  Elle ajoute : “si ce qu’on lit est vrai, cela risque de devenir impossible de travailler. Dans ce cas, ils auront à gérer des émeutes de tatoueurs mécontents et ça ne sera pas simple.” En revanche, Tarek, tatoueur chez Carishna Piercing Tattoo, reste optimiste : “on trouvera toujours un moyen pour faire de la couleur.” Il affirme faire confiance aux entreprises qui travaillent actuellement à des solutions. En outre, les professionnels redoutent que cette restriction ne pousse les clients à recourir aux services des scratchers, ces tatoueurs non déclarés qui utilisent des produits non conformes.

“On trouvera toujours un moyen pour faire de la couleur.” – Tarak, tatoueur chez Carishna Piercing Tattoo

Les alternatives à ces pigments, indispensables aux encres de couleur, ont longtemps été incertaines. Mais depuis décembre, la célèbre marque américaine World Famous Tattoo Ink a annoncé le lancement de sa gamme Limitless début 2022. Elle propose un large choix d’encres colorées aux normes européennes. Cette annonce lance une lueur d’espoir chez les tatoueurs qui y voient l’assurance de la continuité de leur pratique.

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