Lille se mobilise pour la liberté d’expression
Plusieurs centaines de personnes se sont déplacées dimanche 18 octobre, aux alentours de 15 heures, place de la République à Lille : un rassemblement placé sous le signe de l’émotion, pour rendre hommage à Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie sauvagement assassiné à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) à la veille des vacances de la Toussaint. Nous avons recueilli les témoignages de plusieurs manifestants, déterminés à défendre la laïcité et la liberté d’expression.
“Notre présence aujourd’hui était indispensable”
Le rassemblement lillois organisé Place de la République ce dimanche aura donc attiré beaucoup de monde : des professeurs, mais pas que ; la foule était aussi composée de nombreuses personnes s’étant déplacées spontanément. C’est le cas d’Anne et de Jean-Charles, retraités, qui tenaient absolument à être là : “Notre présence était indispensable” martèle Anne, choquée par l’attaque sanglante de vendredi, d’autant plus que les deux filles du couple sont enseignantes. Le choc justement, mot qui domine les conversations lors de cette réunion pacifique où l’émotion était palpable. Elsa, étudiante en première année à SciencesPo confie, les larmes aux yeux : “Je suis fille de prof donc cela me touche particulièrement. […] Je pense que les professeurs vont se condamner à l’auto-censure, même sans le vouloir…”
“Enseigner, même des choses qui ne plaisent pas”
Si certains craignent que la liberté d’expression perde du terrain dans les salles de classe, d’autres sont catégoriques : ils ne céderont pas à la peur. C’est ce que défend Noémie, professeure d’histoire-géographie en collège : “S’autocensurer, c’est contraire à ce que l’on devrait faire : si quelqu’un nous menace et qu’on commence à s’écraser, c’est fini !” Venue avec sa sœur, elle tient une banderole sur laquelle figure cette phrase “Je suis prof”, reprenant la typographie du slogan “Je suis Charlie”. Noémie ajoute : “On a le droit de montrer des sujets sensibles, il faut enseigner, même des choses qui ne plaisent pas, j’essaie toujours de le faire dans le respect des élèves.”
Au-delà du traumatisme, c’est l’angoisse qui domine
Hélène a elle aussi tenu à être présente aujourd’hui. Elle ne travaille pas dans le corps enseignant mais se sent concernée par l’évènement : “C’est comme en 2015, c’est le même cauchemar qui continue. J’ai expliqué à mon fils ce qu’est la liberté d’expression, l’extrémisme ; tout petit, il était venu avec moi aux rassemblements pour Charlie, je lui ai donc proposé de m’accompagner pour rendre hommage à ce monsieur [Samuel Paty, ndlr].” Augustin, malgré son jeune âge, s’exprime avec beaucoup de lucidité : “Je suis triste, le monsieur décapité : c’est pas cool”, s’indigne-t-il un dessin à la main. Au-delà du traumatisme, c’est l’angoisse qui domine chez Hélène : “J’ai peur, pas pour moi mais pour la société : ma vraie crainte aujourd’hui, c’est qu’on soit plus dans le retrait que dans l’ouverture.” Afin de lutter contre le repli sur soi, certains mettent en garde. Martin* réaffirme que “la liberté d’expression est une liberté fondamentale à laquelle on est tous extrêmement attaché”. Pour autant, “il ne faut surtout pas faire d’amalgames, ces actes sont ceux de personnes individuelles, qui prennent des initiatives peu importe leur origine […]. Aujourd’hui, si on veut éviter que ce genre d’actes se reproduisent, il faut investir dans l’éducation.”
“Il peut arriver que notre parole soit remise en cause”
15 heures 30. La place de la République est bondée. D’un coup, tout le monde se tait pour laisser place à des applaudissements. Pendant quelques instants, à l’unisson, on rend hommage à Samuel Paty. Les regards semblent traduire la tristesse, l’indignation, mais aussi la détermination, notamment celle de Marjorie, qui enseigne l’histoire-géographie. “Cet événement montre que le métier d’enseignant est encore plus essentiel en France : il est capital d’expliquer, d’éclairer les élèves.” Lorsque nous lui demandons si elle a déjà dû faire face à des menaces dans l’exercice de sa profession, sa réponse est sans appel : “Il peut arriver que notre parole soit remise en cause, notamment sur des questions religieuses.” Marjorie est venue en famille, avec ses deux enfants : Jules, 12 ans, et Achille, 5 ans. Elle a trouvé important de parler avec eux de l’attentat de vendredi : “On l’explique simplement aux enfants, c’est difficile de les préserver alors autant en parler !” Le dialogue serait donc une solution pour rappeler l’importance de la liberté d’expression. Marjolaine, professeure de français, donnait cours à ses élèves lycéens samedi matin, le lendemain de l’attaque : “J’ai voulu leur rappeler qu’aucune idéologie ne doit mener à tuer quelqu’un, ce n’est pas possible. L’école est là pour apprendre à raisonner et à dépasser l’impulsion, la haine.” Elle confirme que ses élèves “étaient horrifiés, ils se sentent concernés par ce qui s’est passé”.
Aux alentours de 16 heures, les manifestants commencent à quitter la Place de la République, déposant contre des barrières les panneaux qu’ils ont brandi fièrement tout l’après-midi. Des fleurs blanches sont également posées non loin de la préfecture, comme pour porter un message de paix et pour rappeler qu’en France, nul ne parviendra à tuer la liberté d’expression.
*Le prénom a été modifié.