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REPORTAGE. En banlieue, les violences policières comme fait social

REPORTAGE. En banlieue, les violences policières comme fait social

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Il y a un mois est paru Flic, dans lequel le journaliste Valentin Gendrot raconte ses deux années mouvementées d’infiltration dans la police parisienne. Il y détaille notamment les violences policières, alimentant les débats suscités cet été par le mouvement Black Lives Matter. Le Pépère News a enquêté pour comprendre la défiance d’une partie de la population vis-à-vis des forces de l’ordre.

Ce jour là, l’ambiance est calme à la station de métro de Wazemmes, à Lille. Adossés contre un mur délavé, les gens attendent. Certains, les poings dans les poches, s’impatientent et mastiquent leur chewing-gum frénétiquement. Dans un fracas assourdissant, le métro entre en gare. Des hommes, coiffés de leur casquette de policier, se frayent un chemin sur le quai et font signe à une voyageuse démasquée de se mettre à l’écart : « Vous êtes au courant de la loi concernant le port du masque dans les transports en commun madame ? » Elle les dévisage puis porte machinalement son regard sur le masque qu’elle tient à la main, visiblement ennuyée qu’on vienne polluer son trajet souterrain. « Bon, ça ira pour aujourd’hui, vous avez une bonne tête », poursuivent les gardiens de la paix. Un peu plus loin sur le quai, un jeune d’origine maghrébine ne portant pas de masque se fait arrêter à son tour. Pas de discussion possible cette fois. Il est contrôlé, verbalisé, puis brusquement invité à quitter les lieux. Montant de la sanction : 135 euros.

Cette situation, qui peut sembler isolée, fait pourtant partie de ces discriminations courantes des forces de l’ordre, dont se plaignent les jeunes dans la plupart des banlieues françaises ou dès lors qu’ils semblent avoir des origines étrangères. Le problème ne s’arrête pourtant pas là, et les injustices et mauvais traitements se traduisent parfois par une issue funeste. De la mort des deux mineurs Zyed et Bouna, en 2005, à celles d’Adama Traoré et d’Aboubacar Fofana, plus récemment, les drames ne datent pas d’hier. À chaque fois, ils ont secoué le pays et donné lieu à des émeutes historiques dans les banlieues françaises, déjà fragilisées par la précarité. Aujourd’hui, la France doit trouver une réponse pour en finir avec ces confrontations tragiques, tiraillée entre une jeunesse désemparée et en colère et une police qui semble minée par des comportements racistes et violents.

Les jeunes de banlieue, cibles idéales ?

Délit de faciès, coups au sol, plaquages dangereux, usage inapproprié du taser, contrôles d’identité répétés, palpations de sécurité : les ressortissants des quartiers populaires de France dénoncent et condamnent certaines pratiques policières. Si le rôle légitime de maintien de l’ordre de la police ne saurait être remis en question en démocratie, les procédés utilisés par certains gardiens de la paix suscitent plus de questionnements. Bien que les violences policières aient toujours existé, elles semblent en recrudescence depuis le début de la crise sanitaire. Dès le confinement, un vrai déluge d’images choquantes, montrant des contrôles de police douteux, a ainsi envahi les réseaux sociaux. Il alimente un sentiment de révolte généralisée au sein de ces milieux défavorisés, comme en témoigne un jeune du sud de Lille : « Pendant le confinement, j’étais dehors avec un pote à une heure du mat’. Les flics ont débarqué, on a même pas eu le temps de leur parler, y’en a un qui est arrivé, il s’est mis du gel hydroalcoolique et il m’a mis une grande gifle pendant que son collègue m’appuyait sur le dos pour m’immobiliser. Il m’a traité de fils de pute tout du long. Ils nous ont donné une amende de 135 euros chacun parce qu’on avait pas d’attestation de sortie, mais ils nous l’ont même pas demandé notre attestation, c’est abusé.”

Pourtant, rares sont les victimes amenées à s’exprimer. « Comment voulez-vous demander à ces jeunes d’aller au commissariat se plaindre auprès de policiers de faits commis par les collègues ? On est dans un système totalement fermé dont ils ne peuvent sortir que par les médias », soulève Slim Ben Achour, avocat à la Cour d’appel de Paris et spécialiste des questions d’égalité et de non-discrimination. Malgré tout, certains résidents de ces quartiers saisissent l’IGPN. En vain. La parole d’un jeune de banlieue vaut peu contre celle d’un policier. Une triste réalité que déplorent les habitants : « Il y a quelques semaines, j’étais dans la rue et je vois une femme noire qui se fait violemment arrêter alors je décide de m’arrêter pour filmer. Et là, un flic court sur moi, m’arrache mon téléphone des mains, et supprime la vidéo. J’avais beau lui dire qu’il avait pas le droit de fouiller dans mon téléphone, il s’en foutait. Un autre flic m’a immobilisé et il arrêtait pas de me dire : ‘Toi t’es mort, tu cherches la merde, t’es mort’, et après ‘je vais t’apprendre comment on vit en France’. Quand j’ai dis que c’était des propos racistes, il m’a poussé, je suis tombé par terre, et comme je saignais du nez immobile par terre, ils sont partis », confie un adolescent d’un quartier populaire lillois.

Comment voulez-vous demander à ces jeunes d’aller au commissariat se plaindre auprès de policiers de faits commis par les collègues ?”Maître Slim Ben Achour, avocat à la Cour d’appel de Paris et spécialisé dans les questions d’égalité et de discriminations

Ces divers témoignages sont-ils des exceptions ou des pratiques courantes ? L’avocat Arié Alimi, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’Homme, est convaincu de la deuxième option : « C’est comme ça dans tous les quartiers, les policiers sont dans le rapport de force, ils font la démonstration de leur domination, non pas sur les gros délinquants mais sur les jeunes désœuvrés qui traînent dans les rues. » Certains gardiens de la paix se sentiraient ainsi au-dessus des lois alors qu’ils sont censés en garantir le respect. Face à des pratiques contestables, la réponse dans les banlieues françaises se traduit souvent par une stigmatisation de l’ensemble des policiers. Pour Philippe Pujol, journaliste lauréat du Prix Albert Londres en 2014 pour sa série d’articles sur les quartiers nord de Marseille, cette situation peut s’illustrer par un ‘combat de coq’. « Titiller les flics peut devenir un jeu pour les jeunes dans les banlieues, tu t’amuses à te faire peur, tu te défies mais au bout d’un moment les flics en ont marre et ils utilisent la violence, détaille-t-il. Il faut changer l’image ‘police-jeunesse’ dans les consciences. La peur de la jeunesse, c’est une absurdité, on ne peut pas avancer si la police est le symbole de ça. » Une peur que confirme un sondage Odoxa d’octobre 2019 consacré à l’image des banlieues auprès des Français. Le verdict est sans appel : près de 64 % des Français ont une image négative du comportement des jeunes qui y habitent.

La police, en équilibre entre force légitime et abus de pouvoir

Parallèlement, les représentations de la police sont plutôt négatives : le rôle de la police est surtout perçu dans sa dimension répressive alors que les dimensions préventives ou de protection bénéficient d’une visibilité assez floue, particulièrement auprès des populations « jeunes ». L’usage de la force dans le cadre des missions de police génère donc régulièrement des allégations de violences volontaires. Rappelons que les policiers et gendarmes disposent du droit de recourir à la force. Cependant, il n’est autorisé que s’il respecte les principes de légitimité, de nécessité, de proportionnalité et de précaution. Comme le rappelle l’ACAT, une ONG chrétienne de lutte contre la peine de mort et la torture, le préjudice susceptible d’être causé par l’emploi de la force ne doit pas « être excessif par rapport à l’avantage tiré de l’objectif à atteindre », et les opérations des forces de sécurités doivent être « planifiées, préparées et conduites de manière à réduire au minimum le recours à la force » et, lorsque cela devient inévitable, à causer « le moins de dommages possible ».

En 2019 pourtant, “les enquêtes portant sur l’usage de la force constituent […] plus de la moitié du portefeuille de l’IGPN (59 %)”. Comment expliquer cette forte proportion ? Et surtout, pourquoi les forces de l’ordres en sont-elles conduites à un usage récurrent de la force, aboutissant parfois à une violence illégitime ? Une piste de compréhension se cache peut-être dans le refus de certains usagers de se soumettre aux injonctions policières, notamment à l’occasion d’opérations de contrôle ou d’interpellation. Il faut rappeler également le contexte social brûlant de l’année passée, qui a engendré un grand nombre de manifestations très conflictuelles. Enfin, Valentin Gendrot met le doigt sur ce point dans son livre Flic : il faut mettre en avant les dures conditions de vie des gardiens de la paix, qui peuvent parfois conduire à la violence. « Imaginez un boulot où tout est décrépit autour de vous : vos voitures de fonction, vos locaux ou encore vos équipements. Histoire d’ajouter un peu de sel, vous portez un uniforme qui déclenche d’emblée l’hostilité d’une partie des gens que vous croisez. Vous êtes formé à la va-vite, plongé dans des situations chaotiques, avec, en plus, l’impératif insidieux de suivre une ‘politique du chiffre’ souvent absurde. »

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Dans les grandes villes de France, comme ici à Lille, les manifestants ont demandé cet été au gouvernement d’agir contre le racisme et l’utilisation illégitime de la violence dans l’institution policière. © Quentin Saison / Collectif Gerda

Cependant, s’il est possible de comprendre les raisons qui conduisent un agent à commettre une faute, il serait malheureux d’oublier que les coupables de violences sont rarement sanctionnés. L’IGPN ne fait que des propositions de sanctions. Elle n’a pas de pouvoir direct. Les faux et usage de faux en écriture semblent rester des pratiques courantes comme l’indique Valentin Gendrot dans Flic : « Lors d’un contrôle qui dégénère, un policier met plusieurs ‘baffes’ et ‘claques’ à un adolescent, puis des coups de poings. Un PV ‘mensonger’ est ensuite rédigé pour charger le gamin et absoudre le policier. » Malgré tout, pour le sociologue Jérémy Gauthier, chercheur à l’IRIS-EHESS et auteur de nombreux travaux sur la police en France et en Allemagne, ces éléments à charge ne doivent pas permettre des généralisations hâtives et faire perdre de vue que “la police est une grosse institution où il y a des concepts et des rapports de force qui sont divergents”.

En finir avec les violences policières

En France, alors qu’on constate une montée en puissance des allégations de violences policières, le chemin de la réconciliation semble encore long. Première étape ? Comprendre. « En sociologie, que ce soit en France ou à l’étranger, le problème est institutionnel et systémique, poursuit Jérémy Gauthier. Il n’est pas perpétré que par un individu mais par l’espace qui est déterminé par la culture professionnelle. » Cette lecture systémique peut également expliquer le déficit global de l’image de la police auprès des populations « jeunes » et “banlieusardes”. « Les jeunes les plus défavorisés sont les plus critiques en raison de la fréquence de leurs contacts avec l’institution policière », explique le sociologue Jean-Marie Renouard, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP). « C’est le propre de la classe d’âge constituée par les jeunes que de critiquer l’autorité. » La deuxième étape, c’est déconstruire le « mur du déni » qui s’élève en France, s’accordent les sociologues. De nombreuses associations et collectifs, on peut citer notamment l’Observatoire lillois des pratiques policières, se mobilisent en France dans ce sens afin d’informer et sensibiliser sur ces problématiques.

« Les jeunes les plus défavorisés sont les plus critiques en raison de la fréquence de leurs contacts avec l’institution policière »Jean-Marie Renouard, sociologue au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP).

Ouvrir les yeux sur l’institution policière, c’est accepter d’en regarder les défauts. Les violences policières pourraient aussi s’expliquer par la politique du chiffre. Si les objectifs fixés à l’avance comme le nombre de PV ou d’interpellés à réaliser sur un temps donné ont été abandonnés, l’outil statistique qui permet de mesurer l’efficacité des services est toujours en vigueur : « La politique du chiffre tue le sens de notre métier. […] Pour obtenir leurs primes, des directeurs sont prêts à tout pour fournir les meilleurs tableaux statistiques, au détriment de la santé de nos collègues », témoigne ainsi dans Marianne Alexandre Langlois, policier et secrétaire général du syndicat VIGI.

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En France, comme ici à Bordeaux, les citoyens d’origine étrangère étaient nombreux cet été à dénoncer les agissements des forces de l’ordre, jugées racistes et partiales. © Martin Hortin / Pépère News

Afin de sortir par le haut de ce schéma de tension au potentiel toujours explosif, des propositions existent. Il faut « de la morale, de l’éthique et du contrôle », affirme Philippe Pujol. Outre la réforme de l’IGPN, souvent évoquée dans les milieux politiques de gauche, les journalistes, sociologues et avocats s’accordent également sur la nécessité d’un retour d’une police de proximité dans les quartiers populaires. Disparue sous la présidence de Nicolas Sarkozy, elle a refait surface dans le débat public ces derniers temps. Lorsque l’on interroge les Français sur un potentiel retour de ces unités, les trois quarts y sont favorables. “Il faut travailler avec la population et pas autour, abonde Christian Mouhanna, directeur du Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales (Cesdip) et spécialiste des questions de police et de justice. Le problème ne peut pas évoluer si on agit contre la volonté des gens, il faut travailler avec eux.” En banlieue, le son de cloche semble identique : “Une police de proximité serait plus efficace et plus humaine. Je viens de Saint-Denis, où l’on constate des rapports très tendus : il n’y a aucune place pour le dialogue entre jeunes et police. Il faudrait que les policiers soient mieux formés et plus de dialogue dans les deux sens”, suggère un jeune. Dernière tâche, et pas des moindres, convaincre l’institution…

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