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Chasse et confinement dans le Pas-de-Calais, un arrêté cristallise les tensions

Chasse et confinement dans le Pas-de-Calais, un arrêté cristallise les tensions

La forêt de Bénifontaine, dans le Pas-de-Calais. Crédit photo : Matteo Urru / Gerda

À la demande de la Fédération nationale des chasseurs, la préfecture du Pas-de-Calais a autorisé la chasse de certaines espèces nuisibles “susceptibles d’occasionner des dégâts”. Une décision, en plein confinement, ayant pour effet de cristalliser les tensions entre chasseurs et écolos, où certains y voient une faiblesse face aux lobbys. Décryptage.

Chasseurs victorieux, écolos en PLS. Jeudi 5 novembre, une semaine après l’annonce du deuxième confinement par Emmanuel Macron, la préfecture du 62 a instauré une dérogation spéciale chasse, visant à réguler les populations de “nuisibles”. La décision intervient après une semaine de communication farfelue, entre annonces interposées de Bérangère Abba, secrétaire d’État à la biodiversité, et de Willy Schraen, le très controversé président de la Fédération nationale des chasseurs. Si le décret ne concerne pour le moment que le Pas-de-Calais, il suscite une vaste polémique dans les départements limitrophes, notamment auprès des associations naturalistes.

“Une mission d’intérêt général”

Au menu : sanglier, daim, cerf, chevreuil, pigeon ramier, renard roux, corbeau, corneille, pie bavarde et rat musqué. Lorsqu’il s’agit de défendre la chasse, le même argument revient sans cesse : il s’agit de réguler les populations d’animaux nuisibles afin d’éviter les dommages dans les cultures. La préfecture, dans son arrêt, parle ainsi de “chasse de régulation”, en opposition à la “chasse de loisir”.

Les chasseurs auront ainsi à déclarer chaque “prélèvement” sur le site de la préfecture, et l’état de prolifération des espèces devra être réétudié à la fin du mois.

Chasseur Pas-de-Calais
Informations basées sur le décret préfectoral. © Quentin Saison / Pépère News

Tant de mesures qui semblent insuffisantes au patron des chasseurs, Willy Schraen, qui s’avère également présider la Fédération des chasseurs du 62, son département d’origine. Le chasseur et lobbyiste, grand ami de Thierry Coste, dénonce ainsi “une situation ubuesque, qui fera sûrement un jour l’objet de quelques chapitres livresques bien sentis“. À ses yeux, les préconisations du ministère de l’environnement, portées à la connaissance de la plupart des préfectures en France, culpabilisent les chasseurs. “Une telle approche dogmatique [l’interdiction de la “chasse plaisir”, ndlr] humilie les ruraux chaque jour un peu plus. La secrétaire d’État veut promouvoir la chasse comme une obligation, et non comme un plaisir qui peut servir l’intérêt général. Il y a donc plusieurs types de chasseurs, les machines et les autres.”

“Mais c’est ainsi, la ministre écrit, la ministre change d’avis, la ministre se contredit, la ministre dogmatise, mais la ministre a toujours raison, parce que c’est la ministre.” – Willy Schraen dans une lettre aux chasseurs du Pas-de-Calais

Certains agriculteurs (qui sont toutefois loin de représenter la majorité de leurs collègues), nuancent quant à eux le rôle des nuisibles en cette période, comme c’est le cas de Stéphane Delmotte, de la Confédération paysanne, dans un entretien avec les équipes de la Voix du Nord. “C’est un prétexte pour sortir et continuer à tuer des espèces que les chasseurs considèrent comme nuisibles. C’est une justification fallacieuse pour défendre un loisir ! J’y vois le reflet d’un lobby puissant.” À la LPO d’ajouter, interrogée par France 3 Hauts de France : “Les seuls animaux qui ont vraiment besoin de régulation, ce sont les sangliers, et encore, c’est de la faute des chasseurs s’il y en a beaucoup. Il faudrait confier cette tâche à l’office français de la biodiversité, par exemple, qui pourrait réguler en amont, sans attendre qu’il y ait trop de sangliers et les tuer.”

L’étincelle qui enflamme une sacrée poudrière

Ainsi côté écolo, les réactions ne se sont pas faites attendre. Qu’il s’agisse de cette pétition lancée par le Parti Animaliste, des postes de la LPO, ou des communiqués d’EELV, la décision de la préfecture ne passe pas. Au GON, principale association d’ornithologie du Pas-de-Calais, de tailler dans le gras : “Marre du confinement ? Devenez-chasseurs !” La Ligue de Protection des Oiseaux elle, relaie une caricature de Sanaga parue dans Reporterre : “Pense à prendre un fusil pour sortir en toute légalité !”

Sur les réseaux sociaux, différentes associations naturalistes et écologistes de la région s'émeuvent du retour de la chasse. Chasseur Pas-de-Calais
Sur les réseaux sociaux, différentes associations naturalistes et écologistes de la région s’émeuvent du retour de la chasse.

Car pour les amateurs de nature qui seraient dépourvus d’arme à feu, la pilule passe mal. “Vous avez bien compris : les chasseurs pourront arpenter les champs, bois et forêts, tandis que les familles, les marcheurs, les coureurs, les vététistes, les photographes et les bénévoles chargés des suivis (…) ont renoncé à le faire.” Du côté de la ligue de protection des oiseaux, on évoque un recours, même si rien n’est certain. 

Ces tensions entre chasseurs et écologistes ne datent pas de jeudi. Depuis plusieurs semaines, un climat particulier règne au sein des groupes naturalistes. Si historiquement les rapports sont compliqués, de nombreux incidents ont eu lieu ces dernières semaines, où des espèces protégées, souvent des rapaces, ont été retrouvés criblées de plomb. Récemment, c’est dans l’enceinte d’un lycée près d’Arras que des élèves ont retrouvé le cadavre d’un faucon crécerelle. Si la Fédération de chasse condamne, il n’en faut guère plus pour lancer les hostilités. Entre mise en danger des étudiants et atteinte à la biodiversité, les locaux s’émeuvent au même titre que les associations. Si l’on rajoute les menaces de mort reçues il y a quelques mois par Willy Schraen, dans un tout autre dossier, il y a de quoi s’interroger sur l’état des relations entre les amoureux de la nature (les uns de la chasse, les autres de la protection).

Au patron des chasseurs en tout cas, de rappeler dans la lettre qu’il a adressée aux adhérents du Pas-de-Calais : “N’oubliez pas non plus mes amis que la Covid n’est pas une légende rurale, mais qu’elle se répand dans nos territoires chaque jour un peu plus, nous menaçant dangereusement ainsi que nos proches.” Reste à voir dans quelles conditions les chasseurs vont exercer, et si les mesures d’exception dont ils semblent pouvoir bénéficier n’entraîneront pas de nouveaux foyers de contamination.

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