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Conférence sur les demandeurs d’asile à Moulins : “le gouvernement maltraite les exilés”

Conférence sur les demandeurs d’asile à Moulins : “le gouvernement maltraite les exilés”

Exilé soudanais vivant dans un campement à Calais, en 2015. © Michal Bělka (Wikimedia Commons)

C’est devenu une tradition au Campus Moulins. Pour sa première conférence de l’année, l’Association parlementaire des Étudiants Lillois (APEL) accueillait deux spécialistes de l’exil, ce mercredi 18 janvier. Pierre Tévanian, militant associatif et professeur de philosophie a partagé la scène avec le photojournaliste Louis Witter. 

Ils sont une poignée d’étudiants à avoir bravé le froid et la flemme pour assister à la conférence de l’APEL sur les exilés. Faire éclater le mur invisible de l’indifférence, c’est justement le but de Pierre Tévanian et Louis Witter. Le premier enseigne la philosophie en Seine Saint-Denis, et est responsable de rédaction du site d’analyse politique des médias Les mots sont importants. Le second, photojournaliste aguerri, a chroniqué pendant des mois sur les conditions de vie indignes des demandeurs d’asile à Calais, révélant les mauvais traitements qu’ils subissent. Pendant un peu moins de deux heures, ils évoquent l’accueil des demandeurs d’asile en France avec des mots durs, parfois choquants. 

Les maux sont importants

Migrant, exilé, réfugié, quel mot utiliser ? Pour Pierre Tévanian, le second terme a le mérite de rappeler “la souffrance liée à l’exil”. Il estime que parler uniquement de migrants tend à faire croire “qu’ils n’ont pas vocation à prendre racine”, coincés en apesanteur entre une terre qu’ils ont quittée et un pays qui refuse de les accueillir. Quant à “réfugié”, ce terme désigne un statut juridique précis : un “étranger persécuté dans son pays et qui ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de ce pays”. Une personne reconnue comme telle peut accéder au droit d’asile, si son dossier est validé par l’administration française. Le professeur de philosophie “refuse” cette distinction légale entre réfugiés et autres personnes déplacées. “Ça ne veut rien dire, on ajuste le nombre de personnes à qui on accorde ce statut en fonction de la politique du gouvernement”, lâche-t-il. Louis Witter opine. Lui a fait le “choix éditorial” d’employer le mot exilé dans ses reportages.

Ayant tous les deux fait des lettres leur métier, les deux intervenants portent une attention aiguë aux discours médiatiques portants sur l’immigration. Une phrase en particulier les hérisse : “on ne peut pas accueillir toute la misère du monde.” Prononcée par le Premier ministre socialiste Michel Rocard le 3 décembre 1989, elle s’est depuis infiltrée dans les conversations banales, servant à justifier la politique migratoire répressive de l’État. Pierre Tévanian, qui a titré son dernier ouvrage avec cette sentence, parle d’une expression servant à “nier nos responsabilités”. Il rappelle que l’immense majorité des réfugiés se déplacent au sein de leurs frontières, ou gagnent un pays voisin. En 2021, 83% vivaient dans des pays à faible ou moyen revenu, et une très faible partie des exilés gagnent les nations riches.

 

 

Michel Rocard, Premier ministre PS de 1988 à 1991Jean Weber
Michel Rocard, Premier ministre PS  (1988 à 1991) en 1991. © Jean Weber (Wikimédia Commons)

Selon les conférenciers, les gouvernements successifs ont cherché à masquer la réalité de l’immigration, notamment en manipulant les mots. Une expulsion forcée devient “un raccompagnement à la frontière”, l’évacuation d’un camp à Calais se mue en une “mise à l’abri”, illustre Louis Witter. Ces euphémismes s’accompagneraient d’un “discours de peur” propagé notamment dans les médias, qui “ne font pas assez bien”, considère le photojournaliste. Il déplore une couverture médiatique qui “déshumanise” les demandeurs. “Quand on voit des images d’eux, elles sont souvent prises de loin, ils portent des capuches, ça les met vraiment à distance du spectateur”, critique-t-il. Pierre Tévanian abonde en fustigeant le lien constamment opéré entre immigration et insécurité.

“Être un humain à peu près digne de ce nom”

“Allez pschitt ! Votre migrant machin, là.” Les mots blancs sur fond rouge, projetés en grand sur le diaporama, viennent étayer le message des intervenants. Ils ont été prononcés le 24 novembre 2021 par une opératrice du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS), chargé de venir en aide aux personnes naufragées. Ce soir-là, 27 migrants sont morts dans le naufrage de leur bateau de fortune dans la Manche. Ils ont appelé les secours. Ceux-ci ne sont jamais venus. Cette “apathie” que dénonce Pierre Tévanian découle selon lui directement de “l’indifférence du gouvernement”. Quand le naufrage a eu lieu, toutes les chaînes sont allées à Calais. Une semaine plus tard, elles étaient parties”, se rappelle Louis Witter avec amertume.  En 2021, 3.231 personnes ont été déclarées décédées ou portées disparues en mer Méditerranée et dans le Nord-Ouest de l’Atlantique. Cynique, Pierre Tévanian considère que le gouvernement cherche à “envoyer un message” en laissant mourir en mer ces personnes : la France “ne les accueillera pas”.

Le militant Pierre Tévénian rappelle le durcissement progressif des lois sur l’immigration depuis trente ans. Il est de plus en plus dur d’obtenir un titre de séjour, ou même l’accès à des droits fondamentaux pourtant garantis par la loi. La Cour européenne des droits de l’homme ne s’y trompe pas, elle a condamné plusieurs fois la France pour son traitement des demandeurs d’asile. Louis Witter a documenté les effets de cette politique à Calais : tentes lacérées, associations empêchées de donner de l’eau ou de la nourriture aux exilés ou encore confiscation des affaires. Il ironise sur “la grande humanité” de la maire, Natacha Bouchart, en poste depuis 2008. Celle-ci a pris plusieurs mesures pour faciliter l’accueil des réfugiés ukrainiens récemment, soulevant des accusations d’hypocrisie de la part des associations. Elle avait répondu en différenciant la situation des Ukrainiens, présents légalement, et les autres, en situation irrégulière, parlant de faux procès. Louis Witter et Pierre Tévanian refusent une telle distinction. “Pour moi, être un humain à peu près digne de ce nom, c’est […] apporter notre aide à ceux qui nous la demandent”, conclut le professeur de philosophie.

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