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Mignonnes, une œuvre féministe nécessaire

Mignonnes, une œuvre féministe nécessaire

Mignonnes, Film

Prix de la meilleure réalisation au festival Sundance, Mignonnes, premier long-métrage de Maïmouna Doucouré sorti le 19 août dernier, fait polémique. Avec en thème principal l’hypersexualisation des jeunes filles, l’œuvre aborde aussi des sujets tels que la quête d’identité, l’adolescence, l’amitié et la famille.

Depuis un premier scandale autour de la diffusion d’une affiche sexualisant les jeunes actrices du film par la plateforme de streaming Netflix, aux Etats-Unis les tensions autour du long métrage ne s’apaisent pas. Le 6 octobre dernier on apprenait que la plateforme de streaming américaine était inculpée depuis le 23 septembre par un grand jury au Texas pour pédopornographie, en raison de la diffusion du long-métrage. En Turquie, le 3 septembre, la diffusion du film a été interdite, le jugeant trop « choquant ». Pourquoi l’œuvre suscite-t-elle autant de controverses et pourquoi a-t-elle une importance capitale dans notre société actuelle ?

Mignonnes, c’est quoi ?

Mignonnes c’est l’histoire d’une jeune fille qui cherche sa place, tiraillée entre deux représentations de la féminité dans lesquelles elle ne se retrouve pas. Aminata ou Amy, onze ans, étouffe. Elle est l’aînée d’une fratrie de trois enfants, dans une famille sénégalaise très croyante et dont l’équilibre est perturbé par le second mariage imminent de son père. Nouvelle dans son collège, Amy est très intriguée par ce groupe de filles populaires : les Mignonnes. Les Mignonnes dansent, crient, rient, bref elles font du bruit, aiment provoquer et revendiquent leur liberté. Pour Amy, les Mignonnes sont cette vie qu’elle n’a pas, au caractère « interdit » par sa famille, aussi séduisantes que terrifiantes. Se liant d’amitié avec Angélica, Amy va s’intégrer à ce groupe de copines loin d’être sain, bien que libérateur. Les Mignonnes n’ont qu’un but : gagner un concours de danse local pour prouver à tout le monde que ce ne sont plus des « gamines ». Pour se faire, elles vont prendre comme modèle nos artistes contemporains aux danses sensuelles.

Des jeunes filles en pleine recherche de leur féminité

À la limite entre l’enfance et l’adolescence, difficile de se trouver en tant qu’individu tant les modèles qui nous encerclent diffèrent de la réalité. Confrontées à la puberté naissante et à la pression qui les englobe, les Mignonnes se cherchent et veulent s’identifier aux personnalités qui les entourent. Amy évolue dans deux univers extrêmes et complètement opposés : à la maison, elle prie et s’occupe de ses frères ; et au collège elle s’habille en crop-top talons pour aller twerker avec ses copines. Elle est tiraillée entre la pression familiale, culturelle et religieuse chez elle, et celle des réseaux sociaux accompagnée de la quête de popularité subie au collège. Le film aborde alors de manière allusive une question : qu’est-ce qu’une femme, et comment le devient-on ?

Plusieurs réponses sont proposées sans qu’aucune ne soit confirmée. On trouve la première dans la bouche de la mère d’Aminata qui déclare à sa fille le soir de ses premières règles qu’elle est désormais une femme. Les Mignonnes, quant à elles, sont persuadées que c’est en portant des tops et des minijupes, ainsi qu’en reproduisant les danses sensuelles que l’on voit un peu partout qu’elles perdront leur titre de « fillettes ». Au cœur du film, l’hypersexualisation des jeunes filles qui ne sont pas assez grandes et éduquées sur le sujet pour comprendre l’ampleur de leur gestes. Leur normalité correspond à ce qu’elles voient autour d’elles, bien que celle-ci soit en inadéquation avec leur âge.

Une réalisation sous un regard féministe

Amy parle peu, elle n’en a pas besoin, son regard en dit long. Un parti pris par la réalisatrice qui adopte le mantra du « show, don’t tell » – montrer plutôt que dire. Marièke Poulat nous explique le « show don’t tell », une technique utilisée en littérature, dans son article sur le blog Mécanismes d’Histoires. Elle y écrit : « Il ne s’agit pas d’expliquer les choses par de la description, mais plutôt de les montrer avec des situations que [les lecteurs] comprennent et peuvent ressentir. »

Maïmouna Doucouré ne donne pas de réponse, elle pose les questions. Elle laisse au spectateur la place pour qu’il interprète et se questionne. Elle ne porte pas de jugement, ne condamne pas, ni ne célèbre, elle montre une histoire qui nécessite que l’on se pose les bonnes questions. Amy n’a pas besoin qu’on lui le dise, elle a conscience que ses danses et ses vêtements ne correspondent pas à une pré-adolescente de onze ans, un sentiment traduit par les nombreuses séquences s’attardant sur son regard rempli de questions et d’incertitudes.

Le parcours d’une héroïne en colère

Amy est tout d’abord en colère. Le second mariage de son père provoque un déchirement au sein de sa famille. Ce conflit est l’élément déclencheur qui va précipiter Amy hors de l’enfance. Elle crie sa colère dans sa danse qui va à l’encontre de l’éducation qui lui est inculquée. C’est sa manière à elle de se rebeller et de vivre une autre vie, différente de celle qui l’attend chez elle. Par les passages sans transition entre des scènes de twerk et de prière, la réalisation insiste sur les deux extrêmes.

Bien qu’à ses débuts Amy tient une place assez passive, son influence dans le groupe grandit en même temps que sa fureur. Le spectateur assiste à une véritable descente aux enfers pour la jeune fille. L’étau se referme sur Amy au fur et à mesure que nous avançons dans le film. La pression qui pèse sur elle est partout : à la maison, les préparatifs du mariage s’accélèrent, et avec ses amies, les répétitions et l’image du groupe sont mises à rude épreuve. Pour les Mignonnes, Amy vole sa mère, se bat, ment, et diffuse des photos nues d’elle sur les réseaux sociaux. Sa place au sein du groupe sera toujours incertaine et remise en question à la moindre erreur. Car oui, les Mignonnes sont cruelles, presque autant qu’aimantes les unes envers les autres.

Mignonnes, Film
Amy, après avoir quitté le concours de danse © Bien ou Bien Production

À la fin du film, Amy fait le choix d’aller au concours et de rater le mariage de son père. En pleine représentation, les Mignonnes sont huées. Amy se fige, comme si elle se réveillait brutalement d’un état de transition dans lequel elle n’était plus elle-même. L’oeuvre se termine sur l’image d’une Amy souriante, apaisée jouant à l’élastique. En décidant de quitter le concours de danse et en refusant de se rendre au mariage de son père, Amy rejette les deux modèles qu’on lui propose pour en choisir un qui lui ressemble.

 

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