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Sans filtre ou la satire réaliste

Sans filtre ou la satire réaliste

Affiche du film Sans filtre

Arrivé dans les salles de cinéma le mercredi 28 septembre, le film Sans filtre a tout pour rameuter les foules. Drôle, captivant, engagé, le troisième film du réalisateur Ruben Östlund a d’ailleurs remporté la Palme d’or lors du dernier festival de Cannes. D’une simple histoire de croisière découle une critique sociétale doublée d’une lutte des classes assez impressionnante, dont il y a quelques enseignements à tirer. (Cet article contient quelques spoilers mineurs, non révélateurs de l’histoire du film et qui ne gâcheront pas votre visionnage).

L’histoire d’une société qui tombe

Avant la société qui tombe, c’est l’histoire de Carl et Yaya, un couple de mannequins, à qui l’on a offert une croisière de luxe. Le film suit donc leur voyage à bord de ce yacht, ainsi que celui des autres passagers qui les accompagnent. Un milliardaire russe, un développeur d’applications pour mobiles, un capitaine alcoolique ; les profils sont variés. Leur point commun ? Ils font tous partie de la catégorie de la population dite des « ultra riches », même si le capitaine est un peu à part parmi tout ce beau monde. Le film cherche à montrer qu’ils sont des purs produits du capitalisme, enfermés dans leur bulle et coupés du monde extérieur. 

C’est tout l’objet du film, des milliardaires à bord d’un bateau qui vont essuyer une tempête, qui représente probablement toute la misère du monde, et pensent s’en sortir indemnes. Sauf que les choses ne se passent pas comme prévues. Même durant la tempête, les passagers tombent malade tour à tour, et sont éprouvés par ce qu’il se passe dehors. Ils vont même finir sur une île déserte, preuve qu’ils ne sont ni intouchables ni épargnés par les souffrances du monde.

Sauf qu’à la fin, ce sont les membres de l’équipage qui nettoient la catastrophe. Ici, le film semble chercher à montrer que, malgré ce qu’ils peuvent croire, les plus privilégiés sont touchés d’une manière ou d’une autre par la misère qui frappe le monde, symbolisée par la tempête. Mais il semblerait que peu importe ce qu’il se passe, ils savent que les conséquences de cette misère ne les touchent qu’indirectement, et qu’ils auront toujours des gens inférieurs à eux pour tout réparer. Le film nous montre la mini-société qu’un bateau peut représenter, et la fracture bien réelle qui existe dans celle-ci.

Ruben östlund et la palme d'or de Sans filtre
Ruben Östlund et la palme d’or pour Sans filtre au Festival de Cannes 2022 © Flickr – Julien Reynaud

Pourtant, le film est drôle, il fait rire bien plus qu’il ne fait pleurer, le drame se déroulant sous les yeux du spectateur paraît tout de suite moins grave. Il demeure néanmoins très réaliste, en plus d’être captivant.

Quelques mots qui disent beaucoup

Le long-métrage se centre aussi de manière assez importante autour d’un leitmotiv qui prend la forme d’une phrase toute simple : « Nous sommes tous égaux. » Dans ces quelques mots, c’est toute l’ironie que porte le film et qui traverse notre société qui s’incarne. Elle apparaît pour la première fois au début du film, sur l’un des écrans qui sert à accompagner le défilé de mode auquel assiste Carl. À ce moment-là, ce n’est encore qu’une phrase banale donnée au spectateur, mais au fil des minutes, elle va prendre une tout autre dimension.

Plus tard dans le film, c’est une des milliardaires de la croisière qui la prononce, avec un ajout qui fait la différence : « Je veux que nous soyons tous égaux. » Cette phrase, elle l’adresse à une des membres de l’équipage qui lui sert du champagne pendant qu’elle est dans son jacuzzi. Sorti de son contexte, ça semble très ironique. En réalité, elle souhaite juste que la serveuse puisse également avoir le droit de se baigner (ce que le règlement interdit). En fin de compte, la responsable de l’équipage cède au caprice de la milliardaire, et le temps d’une baignade, l’équipage est égal aux passagers, même si cela reste très relatif. Cette scène illustre le pouvoir que possèdent les classes aisées sur les classes les plus modestes.

Au début de la deuxième partie de la croisière, l’équipage est réuni. Après un discours de leur cheffe, les membres se mettent à scander « Mo-ney ! Mo-ney !« . Ce moment découle du discours, durant lequel Paula, la cheffe, leur indique qu’ils doivent dire « oui » à toutes les demandes des clients, en l’échange d’un pourboire perçu à la fin du voyage. Tout le monde ne sera pas d’accord, mais c’est sûrement une manière pour le réalisateur de montrer que le train de vie des plus modestes dépend des plus riches. C’est un énorme moyen de pression qu’ils possèdent, et donc une manière de faire en sorte que l’on cède à tous leurs caprices, car d’eux dépend le sort de beaucoup de gens. 

Une simplicité dérangeante

Ces messages qui sont passés à travers le film paraissent être tellement évidents et déjà entendus qu’il serait possible de penser que rien de nouveau n’est apporté. Cette simplicité et cette évidence nous permettent de lier l’image à la réalité et font l’originalité du film.

Ce film repose sur une histoire plausible, une croisière de luxe où les passagers se rencontrent, et qui un jour tombent sur une tempête, l’ensemble reste très réaliste. Cette plongée dans un univers qui ressemble beaucoup à celui dans lequel le spectateur vit, fait que celui-ci peut vite s’identifier à ce qu’il voit, et a fortiori trouver des ressemblances troublantes avec la réalité. La croisière montrée à l’écran pourrait tout à fait exister dans la vraie vie, mais les messages qui traversent l’intrigue font qu’elle apparaît en fait comme une reproduction miniature du monde réel. 

Cela étant dit, tout peut sembler plausible et cohérent, ce n’est pas nécessairement le cas mais certaines séquences vont poser question et amener le spectateur à une réflexion sur sa vie. À plusieurs reprises dans le film, les ultra-riches apparaissent complètement coupés de la réalité, vivants dans une sorte de monde idéal où leur plus grande misère est bien loin d’être comparable à celle de ceux qui travaillent pour eux. Ce qui est montré au spectateur semble par moments surréaliste. Pourtant, avec un peu de recul, il est possible de se rendre compte que tout cela n’est pas forcément si fou à imaginer, et cela peut expliquer le choix de l’ironie et de la dérision faite par le réalisateur. En tout cas, ce dernier a privilégié une dédramatisation de la situation, ce qui ne l’empêche pas de faire passer un message fort.

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