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“Université de Lille 2022”, le projet d’établissement public expérimental qui fait des vagues

“Université de Lille 2022”, le projet d’établissement public expérimental qui fait des vagues

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À Lille, la conservation du label I-SITE obtenu en 2017 et les financements qui y sont liés passent par la création d’un établissement public expérimental. Ce regroupement de l’Université de Lille et de quatre écoles lilloises, prévu pour janvier 2022 crée des remous, provoqués par une course contre la montre et une opposition entre le modèle académique universitaire et celui des écoles.

Le 27 décembre dernier, le Pépère News publiait un article sur le projet “Université de Lille 2022”, et autant dire que ce dernier a fait réagir. Présenté comme une chance par l’administration de l’université et son président Jean-Christophe Camart, on vous propose de mieux comprendre les enjeux de la construction de cet établissement public expérimental (EPE).

Le label I-SITE, un atout pour le monde universitaire lillois

Tout commence en 2017. L’Université de Lille obtient alors le label I-SITE, dans le cadre du second programme d’investissement d’avenir “PIA 2” lancé en 2014 par le gouvernement socialiste de l’époque. Ces investissements visent à créer des pôles universitaires avec un rayonnement international. Ce label, décroché par l’université nordiste, avec la dénomination “Université Lille Nord-Europe” (ULNE), s’accompagne de dotations importantes : 15 à 20 millions par an et 500 millions d’euros à terme. Ces fonds pour la recherche sont particulièrement intéressants pour le monde universitaire lillois, historiquement peu doté. C’est à ce moment que l’histoire devient plus complexe. La période probatoire pour l’I-SITE ULNE est de quatre ans, jusqu’à 2022, et une des conditions pour conserver ce label et obtenir le reste des financements est la création d’un EPE rassemblant l’université actuelle et quatre écoles lilloises au sein d’une même structure. Ces regroupements et ce type d’établissements existent depuis une ordonnance signée par le président Emmanuel Macron en 2018.

Ainsi, depuis quelques mois, l’Université de Lille, Sciences Po Lille, l’Ecole Supérieure de Journalisme (ESJ), Centrale Lille, et l’Ecole d’Architecture et de Paysage (ENSAPL) travaillent ensemble à la construction du projet connu sous le nom “Université de Lille 2022“. “Nous avons beaucoup à gagner en rassemblant l’esprit universitaire et l’esprit école, notamment pour s’affranchir des clivages sociaux qui peuvent exister entre ces deux modèles“, avance ainsi Nicolas Postel, premier vice-président de l’université actuelle. Mais des blocages se révèlent en novembre dernier, après la parution de l’avant-projet des statuts de l’EPE. Tant au sein de l’université, à l’échelon central, que du côté des futurs “établissements-composantes”, des critiques s’élèvent pour souligner différents problèmes de fond et de forme. Ces désaccords se concrétisent en décembre dernier, lorsque Centrale annonce renoncer à sa volonté de devenir un de ces établissements-composantes.

Un EPE qui peine à convaincre au sein de l’Université de Lille

Du côté de l’Université de Lille, l’EPE est loin de rencontrer une franche adhésion. Depuis novembre, trois vice-présidentes ont démissionné, et seule l’UFR-3S regroupant les facultés en lien avec la santé et le sport s’est prononcée en faveur du projet. “Nous sommes pour la construction de ce projet commun sur le long terme qui est une belle idée. Cependant, les délais courts, la verticalité de la construction des statuts, et le contenu proposé, alors même que nous sortons de la fusion des trois anciennes universités, nous donnent l’impression que cet EPE ne peut pas être mis en place dans de bonnes conditions, afin qu’il soit réellement au service de la communauté universitaire”, expliquent Delphine Chambolle (ex-vice-présidente “Culture”) et Emmanuelle Jourdan (ex-vice-présidente “Université citoyenne”).

“Le risque est, non seulement de mettre en place une gouvernance peu conforme à la démocratie universitaire, mais aussi de promouvoir un modèle anomique, où des composantes aux ressources inégales se développeront sans cohésion et sans solidarité. En définitive, ce serait bien la désagrégation de l’Université de Lille qui s’enclencherait” – Gabriel Galvez-Behar, doyen de la faculté des Humanités

Différents éléments sont ainsi mis en cause. Tout d’abord, c’est la forme juridique même des EPE qui est critiquée. Ces établissements offrent un cadre qui permet des dérogations importantes aux règles relatives aux universités dans le Code de l’éducation. Pour ce qui est des statuts, les acteurs engagés contre le projet mettent en garde contre plusieurs points : organisation à deux vitesses, démocratie universitaire et libertés académiques mises à mal, et une faible place pour la recherche. Le 4 novembre dernier, Gabriel Galvez-Behar, doyen de la faculté des Humanités, évoquait ainsi dans une contribution plusieurs problématiques qui sont au cœur du débat : “Le risque est non seulement de mettre en place une gouvernance peu conforme à la démocratie universitaire, mais aussi de promouvoir un modèle anomique, où des composantes aux ressources inégales se développeront sans cohésion et sans solidarité. En définitive, ce serait bien la désagrégation de l’Université de Lille qui s’enclencherait […].

Enfin, la question des délais et du procédé décisionnel de rédaction et d’adoption des statuts peut laisser sceptique : l’avant-projet est sorti en novembre, pour un vote définitif prévu en avril, et un lancement de la “nouvelle Université de Lille” dès janvier 2022. Les opposants (notamment étudiants) au futur établissement dénoncent une précipitation néfaste pour les usagers de l’université future et un processus de rédaction opaque. En réaction, plusieurs acteurs, notamment les facultés de sciences et technologies (FST) et de sciences juridiques, politiques et sociales (FSJPS) demandent la mise en place d’un référendum au sein de la communauté universitaire.

“Je veux défendre la démocratie universitaire. Cet EPE doit être administré par ses pairs, il doit exister une équité tant chez les personnels que chez les étudiants, mais en respectant la diversité et les sensibilités différentes des UFR, des composantes.” Jean-Christophe Camart, président de l’Université de Lille

Jean Christophe Camart, le président de l’université, est conscient des doutes de la communauté universitaire lilloise : “Il est souhaitable que dans une université comptant 7.500 personnels, il existe différents courants de pensée qui se challengent. Je veux défendre la démocratie universitaire. Cet EPE doit être administré par ses pairs, il doit exister une équité tant chez les personnels que chez les étudiants, mais en respectant la diversité et les sensibilités différentes des UFR, des composantes. L’un des axes, c’est d’ailleurs la devise de l’Union européenne et j’y suis attaché, c’est l’unité dans nos diversités”, argumente-t-il, avant de se montrer rassurant : “Nous traversons des moments de doutes qui sont légitimes sur un projet d’une telle ampleur mais je suis confiant sur l’avenir de l’I-SITE lillois. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de l’EPE, qui s’inscrit dans la continuité de la fusion de Lille 1, Lille 2 et Lille 3. Cette dernière représentait à mon sens 80% du chemin à parcourir. Nous aurons peut-être des réglages à faire les premières années mais je suis très optimiste.”

Les écoles à la croisée des chemins

On le voit, la création d’un EPE à Lille n’est pas évidente et suscite de vifs débats. Le sujet est délicat. À Sciences Po Lille, l’administration préfère rester discrète : “Le sujet est « touchy » donc on ne communique pas en ce moment”, répond Pierre Mathiot, le directeur de l’établissement, suite à notre demande d’entretien. Cette réticence peut se comprendre. En effet, difficile pour les écoles, futurs “établissements-composantes”, de se projeter réellement. Compliqué également d’être certain que le pari d’une association leur soit bénéfique. Depuis le départ de Centrale du projet un peu avant les vacances de Noël, Sciences Po, l’ESJ, et l’ENSAPL sont dans une position inconfortable et ne veulent pas s’inscrire dans une dynamique trop instable. En témoigne le communiqué paru le 18 décembre dernier : “Les positions récemment prises par plusieurs composantes de l’université attirent l’attention sur la complexité du calendrier de création d’un EPE au 1er janvier 2022 et nous devrons, dans les semaines qui viennent, faire évoluer le projet « Université de Lille – 2022 ».”

“Nous devons parler de projet  autant que de statuts. Ces derniers comptent c’est vrai. Mais lors d’un mariage, en dehors du contrat il existe un projet de vie, une réflexion commune. C’est ce que nous devons faire ressortir. Le but est de créer une richesse par l’union d’entités plurielles, pas un ensemble ingouvernable à cause de nos différences.” – Pierre Savary, directeur de l’ESJ Lille

Le point de vigilance pour les écoles concerne “la place des établissements-composantes au sein du projet”. Ainsi, comme le rappelle Pierre Savary, directeur de l’ESJ, “la dernière fois que le conseil d’administration de l’école s’est exprimé sur le sujet, nous avons indiqué notre intérêt pour poursuivre mais avec des demandes de précisions et des réflexions par rapport à la conservation des statuts et de l’agilité de notre établissement”. Sur le fond, c’est bien là tout l’enjeu des négociations en cours.

Quel degré de subsidiarité pour chacune des entités au sein d’un groupe commun ? Comment se mettre d’accord lorsque le temps presse ? “C’est un calendrier imposé qui est terrible”, abonde Pierre Savary. “Le constat est partagé par tout le monde. Même si cela mériterait évidemment plus de discussions, nous n’avons pas d’autre choix que de prendre le train qui passe si nous voulons confirmer la labellisation I-SITE et faire du pôle universitaire lillois un acteur attractif qui compte au nord de Paris”, affirme-t-il, avant de poursuivre : “Nous devons parler de projet autant que de statuts. Ces derniers comptent c’est vrai. Mais lors d’un mariage, en dehors du contrat il existe un projet de vie, une réflexion commune. C’est ce que nous devons faire ressortir. Le but est de créer une richesse par l’union d’entités plurielles, pas un ensemble ingouvernable à cause de nos différences.”

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Science Po Lille est une de quatre écoles concernées par le projet d’EPE. © Quentin Saison / Collectif Gerda

Afin de mener à bien la création de “l’Université de Lille 2022” et calmer le jeu suite au départ de Centrale, l’équipe administrative de l’université actuelle a proposé une évolution des statuts durant le mois de février. Elle espère de cette manière rassurer les écoles et faire baisser les inquiétudes internes des composantes (notamment concernant la proportion d’élus du personnel et les services communs du futur établissement). Elle a également démarché l’École Nationale Supérieure des Arts et Industries du Textile (ENSAIT) de Roubaix qui rejoint le projet comme établissement-composante.

Les différents acteurs doivent désormais trouver l’équilibre entre la volonté d’indépendance des écoles et le respect des demandes et doutes au sein de l’université concernant la répartition des compétences au sein de l’EPE. Aujourd’hui, le projet est à un tournant et continue d’être débattu et travaillé. Les votes des différents conseils d’administration auront lieu fin avril et on saura alors si oui ou non le monde universitaire lillois se transforme à la rentrée 2022.

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