En Thaïlande, la révolte lycéenne contre un pouvoir autoritaire
Tandis que la révolte étudiante thaïlandaise lutte contre l’autorité du roi, les collégiens et lycéens tentent de se mobiliser pour une réforme de l’éducation. Le Pépère News a interviewé Benjamaporn Nivas, l’une des leaders de la mobilisation.
Les offres ne manquent pas pour tout occidental qui souhaiterait étudier en Thaïlande. Les universités s’ouvrent toujours plus sur l’international, et le nombre de cours donnés en anglais a été multiplié par dix entre 2007 et 2017. Mais les 20.000 étudiants étrangers venus à Bangkok ou Phuket – souvent privilégiés puisque l’université coûte environ 4.000 euros à l’année – ignorent sûrement le parcours que leurs camarades natifs ont traversé. Si l’université adopte une pédagogie moderne et une posture ouverte sur le monde, les collèges et lycées conservent des méthodes archaïques à faire frémir un étudiant français.
Bad Students
Alors, lorsque les manifestations d’étudiants contre la junte militaire ont débuté en juillet, les lycéens ont profité du vent de révolte qui soufflait sur Bangkok pour proposer une alternative au système éducatif. Autour du mouvement Bad Students, qui s’est peu à peu répandu dans les collèges également, nombreux sont les adolescents thaïlandais à défiler dans la rue ou se rassembler devant les établissements scolaires. Benjamaporn Nivas, 16 ans, est l’une des leaders de cette opposition. Par son compte Instagram, on comprend que la mobilisation de la jeunesse se joue sur les réseaux sociaux. Elle participe à toutes les manifestations, à en croire ses stories où l’on aperçoit des milliers de jeunes parcourir Bangkok dans une ambiance bon enfant. Mais au milieu des éclats de rires et des symboles de protestation tirés de Hunger Games, les manifestants tentent d’extérioriser de réelles souffrances.
“[On] nous apprend à être des esclaves.”
L’autorité politique du roi Rama X, qui est appuyée par l’armée, se fait ressentir jusque dans les salles de cours où les élèves subissent “la pression dans divers domaines tels que leur coiffure, leur uniforme, et ainsi jusqu’à leurs pensées”, insiste Benjamaporn Nivas. La lycéenne continue : “Les professeurs thaïlandais forcent les élèves à avoir une jupe de même longueur, les chaussettes doivent être de la même longueur, ils vont même jusqu’à obliger la couleur du soutien-gorge.” Le contrôle permanent de l’administration scolaire est doublé de sanctions lourdes en cas de manquement : “De nombreux enfants thaïlandais disent avoir été fouettés ou forcés de se couper les cheveux.” Et les conséquences sont parfois dramatiques pour les élèves victimes de ces sévices. Un collégien de 13 ans qui n’avait pas rendu son devoir est ainsi décédé au mois de septembre après avoir effectué 100 flexions sur ordre de son professeur.
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Mais les professeurs ne sont pas accusés directement par le mouvement Bad Students. Le principal accusé n’est autre que le Premier ministre, arrivé en 2014 grâce à un coup d’État, Prayut Chan-o-cha, et son ministre de l’Éducation Nataphol Teepsuwan. Les lycéens déplorent les évaluations quotidiennes ordonnées par le ministre, qui empêchent l’apprentissage des leçons. Cette “perte de temps”, comme le décrit Benjamaporn, a pour conséquence un niveau scolaire très faible. La Thaïlande affiche l’un des plus faibles niveaux d’anglais en Asie du Sud-Est, et la majorité des professeurs ont récemment échoué à des tests de mathématiques. Les réformes structurelles promises par le Premier ministre et Teepsuwan se font attendre, alors que ce dernier a rencontré les membres de Bad Students lors de l’occupation de son ministère par les manifestants.
“L’éducation thaï n’apprend pas aux gens à être des gens, elle nous apprend à être des esclaves. On ne fait qu’attendre des ordres.” – Benjamaporn Nivas
Mais face à la mauvaise qualité d’enseignement, aux contrôles permanents et aux sévices, tous ne sont pas logés à la même enseigne. Benjamaporn Nivas n’hésite pas à parler de favoritisme accordé aux élèves issus de familles riches ou proches du pouvoir. “Il y a encore beaucoup de professeurs thaïlandais qui ont de la volonté, mais ils ne peuvent pas utiliser cette volonté pleinement parce qu’ils subissent les pressions du pouvoir qui maintient ce système de favoritisme.”
En Thaïlande, la peur de la répression
La révolte est donc, pour les lycéens, à la fois naturelle et nécessaire, d’autant plus dans un pays où la population scolarisée s’est soulevée de nombreuses fois depuis 1970. Malgré la force de cette culture de révolte estudiantine, beaucoup craignent encore la répression du roi. Le crime de lèse-majesté est condamné par de lourdes peines de prison, et quelques leaders de précédentes manifestations ont disparu. Mais cela ne semble pas inquiéter Benjamaporn. “Je n’ai jamais eu peur […]. Beaucoup d’étudiants ont des idées et veulent se battre comme moi, mais ils n’en ont tout simplement pas l’occasion, à cause de leur lieu de domicile, de leur situation financière. Personnellement quand j’en ai eu l’occasion, j’y suis allée sans crainte.”
Malgré la présence d’une frange de la population toujours très conservatrice, de nombreux pans de la société thaïlandaise se soulèvent pour des causes très diverses, qui ont pour point commun la lutte contre l’autorité de la junte militaire et du roi. L’éducation est le reflet de cette pénétration de la monarchie dans la vie quotidienne par un contrôle des corps et de la pensée. Alors, quand on demande à la jeune leader ce que serait pour elle une tenue républicaine à la française, celle-ci adresse un message bien thaïlandais qui pourrait donner des idées à Jean-Michel Blanquer : “Avoir un uniforme scolaire, ce n’est pas une mauvaise chose. Mais je pense que les étudiants devraient avoir plus de choix sur le type de tenue qu’ils veulent porter.”