Entretien avec Frédéric Demartelaere, pompier et syndicaliste
Frédéric Demartelaere est adjudant à Lille Fives, représentant du personnel au SDIS 59 (Service départemental d’incendie et de secours), et membre du bureau de l’Union locale CGT de la ville. Alors que l’intersyndicale a appelée au niveau national à la fin de la grève le 1er février, il revient pour le Pépère News sur les mobilisations qui ont lieu chez les pompiers depuis plusieurs mois.
Pépère News : Pouvez-vous nous parler de la grève des pompiers, de vos revendications principales, de vos objectifs tout au long de la grève qui durait depuis juin dernier ?
Frédéric Demartelaere : Cette mobilisation avait lieu à plusieurs étages. D’une part les revendications d’ordre national, couvertes par un préavis de grève national. Cela concernait notamment la revalorisation de la prime de feu et les retraites, au même titre que l’ensemble des autres professions. Il y a également les conditions de travail et le financement des SDIS. Nous voulions que l’État s’engage davantage financièrement. Enfin, nous demandions la prise en compte du “risque fumée”.
P.N. : Et ici dans le Nord ?
F. D. : C’est le second étage de la mobilisation, l’étage départemental. Nous étions déjà en lutte dans le Nord avant le préavis national, sur la question du manque d’effectifs et de la protection de l’Indemnité administrative et technique (IAT) pour les plus jeunes qui commence depuis 2017. Celle-ci passe de 8% à 1% dans notre département et cela crée une discrimination à grade égal et à métier égal.
P.N. : La mobilisation nationale courait depuis 7 mois, est-ce un événement historique au sein de votre profession ?
F. D. : Non, pas du tout ! Il y a eu des grèves qui ont été bien plus longues que ça ! L’avantage qu’ont les pompiers, c’est qu’ils peuvent faire grève sans perdre d’argent. C’est dû à notre métier et au fait que si nous sommes de garde, même grévistes, nous sommes réquisitionnés par un arrêté préfectoral qui nous oblige pour la continuité du service public. Donc quand on fait grève, c’est surtout des modalités d’actions spécifiques qu’on utilise pour exprimer nos revendications. Et lorsque vous croisez des pompiers en manifestation, c’est qu’ils utilisent leur temps de repos.
P.N. : Mardi 28 janvier, il y a eu une grosse journée de mobilisation à Paris, et les images de faces-à-faces entre pompiers et policiers sont symboliquement très fortes…
F. D. : C’est vrai qu’on est un métier très aimé de la population, du coup lorsqu’on touche aux pompiers, ça a quelque chose de médiatique. Mais en réalité on n’est pas différents des autres travailleurs. Un cheminot il se bat pour les mêmes choses que nous au final, pour un changement de modèle. C’est aussi vrai que nos relations avec les flics se sont tendues. Après les CRS, on ne leur demande pas forcément de réfléchir… On leur demande de taper ils tapent et puis c’est tout… Mais en fait le principal problème c’est que le gouvernement n’apporte aucune réponse politique à la colère populaire.
C’est un gouvernement qui n’a aucun respect pour la démocratie.
P. N. : Le problème dépasse donc votre simple profession…
F. D. : Aujourd’hui, quand on regarde la grogne générale, le gouvernement et son projet de société sont quand même rejetés par 70% de la population. Même si tous ne participent pas à la grève, la grande majorité de la population la supporte et comprend bien que ce que le gouvernement met en place c’est juste spolier le peuple. La SNCF, les pompiers, les avocats, les kinés, les libéraux, les profs, les étudiants, et tous les autres salariés : tout le monde est contre la réforme. Le Conseil d’Etat lui-même retoque le projet mais ils s’entêtent. C’est un gouvernement qui n’a aucun respect pour la démocratie. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent à la télé mais ils n’ont aucun respect.
P. N. : L’intersyndicale a décidé de suspendre le mouvement au niveau national. Y aura-t-il des poursuites à des niveaux locaux ?
F. D. : Le 28, Castaner est arrivé autour de la table comme un mafieux. Il a posé un ultimatum avec ses propositions qui n’avaient rien de nouveau et il a dit : “Soit vous levez votre préavis de grève intersyndicale et je laisse ça sur la table, soit vous me dîtes non, je repars avec et on n’en parlera plus”. C’était ça ou rien. Dès qu’il a fait sa déclaration, l’Assemblée des départements de France (ADF) a expliqué que les collectivités n’étaient pas en mesure de payer pour les propositions du Premier ministre. Cette proposition est donc nulle et non avenue. Mais effectivement, sur la prime de feu, il faut noter qu’on a obtenu une avancée et on va prendre ce qu’ils nous donnent.
P. N. : On vous retrouvera en cortège interprofessionnel dans les semaines qui viennent ?
F. D. : Ce sont les salariés qui décident quand est-ce que finit la grève. Ce sera voté au cours d’AG à des niveaux locaux. Il y aura de toute façon des poursuites de grèves à nos échelles. Par exemple, pour ce qui est de la CGT, nous ne sommes plus couverts par le préavis intersyndical de notre profession mais toujours par celui, fédéral, de la fonction publique. On va juste changer le mot d’ordre. Ce ne sera plus la prime de feu, mais ce sera les retraites, le “risque fumée”, les agressions, …
P. N. : Un dernier mot pour nos lecteurs ?
F. D. : L’avenir ce sont les jeunes ! Tous les mouvements qui ont abouti ont été accompagnés par les travailleurs et les étudiants. Il est temps aujourd’hui que ces derniers comprennent qu’ils ont toute leur place. Je sais que ce n’est pas facile. Il ne s’agit pas de faire la révolution ou de tout casser mais de s’exprimer. Ce n’est pas normal de devoir travailler pour étudier, de vivre dans la misère ou sous le seuil de pauvreté. On n’est pas obligé d’être un black bloc ou un anarcho-syndicaliste, ce qui me semble d’ailleurs être une erreur de méthode. Je suis persuadé que la force du nombre suffit complètement. Les étudiants à Lille et dans sa métropole sont extrêmement nombreux [près de 120 000, NDLR]. Si on en voit plus dans la rue, et qu’on observe ça ailleurs en France, là ce serait autre chose et le gouvernement aurait plutôt intérêt à arrêter les conneries.
Propos recueillis le 04 février.