Le génie lesbien d’Alice Coffin dérange
Le génie lesbien d’Alice Coffin, sorti ce 30 Septembre 2020, a échauffé les esprits et a su faire parler de lui. Plateaux télé, réseaux sociaux, émissions de radio… Qu’il soit aimé ou détesté, le premier livre de la journaliste, lesbienne et féministe militante a été au coeur de débats houleux ses dernières semaines. Retour sur le livre le moins lu mais le plus critiqué du moment.
L’accusant de tous les maux et harcelant Alice Coffin sur les réseaux sociaux depuis la sortie du livre, ses détracteurs n’ont cessé de prouver depuis combien elle avait raison. “Je hais cette lesbienne”, “Alice Coffin c’est la poubelle intellectuelle du féminisme moderne”, “Là où elle excelle vraiment, c’est pour vomir sa misandrie”, “Petite, elle est tombée du couffin”… Les tweets et propos insultants envers la journaliste fusent, mais paradoxalement valident les thèses portées dans Le génie lesbien. “Alors ça c’est formidable elle dit : Les hommes je ne regarde plus leurs films, je ne lis plus leurs livres… – Bah dit donc il va plus lui rester grand chose ! – Moi je l’ai lu vaguement !” Voici l’extrait d’une discussion entre Pascal Praud et Elisabeth Lévy, chroniqueurs pour la chaîne d’information CNews. Cette conversation, à la fois utile et vide de sens, pointe du doigt tout le problème : ils n’ont pas lu le livre. Et ne le comprennent donc pas.
L’intime au service du militantisme
Il est d’abord l’histoire intime d’une jeune femme, qui fut jeune fille et enfant, lesbienne, et qui, en tant que lesbienne, a manqué de représentations dans la société. De modèles d’autres femmes qui, comme elle, aiment les femmes. Dans ce livre, que l’on pourrait à certains passages qualifier de journal intime, Alice Coffin nous livre un témoignage qu’elle met au service de son militantisme. Là est l’objectif de l’œuvre. Coffin le dit à plusieurs reprises : elle n’a pas peur du regard biaisé, elle le célèbre même et veut le voir se propager. Elle témoigne ici de son vécu, de sa vie en tant que femme, lesbienne, journaliste, militante, consommatrice de la culture aussi. Elle énonce un parallèle entre sa vie personnelle et les questions de société relatives aux droits des LGBTQ+ ou au féminisme. Car il s’agit ici, pour Alice Coffin, de faire comprendre au lecteur que le cloisonnement de ces questions dans la sphère privée n’est pas toujours bon à prendre : “On s’en fiche de savoir si un tel ou un tel est gay, ça ne regarde personne.” S’afficher publiquement et revendiquer son homosexualité, son genre, son appartenance culturelle ainsi que les problématiques liées à ceux-ci, c’est offrir sa personne en tant que modèle pour tous ceux qui leur ressemblent et qui en manquent tant.
« Le neutre c’est l’homme »
L’ex-journaliste règle également ses comptes avec les médias et particulièrement le “mythe de la neutralité” journalistique. “Le neutre c’est l’homme”, disait Simone de Beauvoir, et cette phrase fait toujours autant écho. Dans les médias et les travaux de recherches universitaires surtout, on impose une certaine rigueur de la neutralité. Ne pas être trop abrupte, choquant, ne pas déborder. Être objectif. Mais qu’est-ce que être objectif ? Pour Alice Coffin comme pour Simone de Beauvoir, l’objectivité c’est l’homme qui la construit. Coffin va plus loin : cette recherche fictive, utopique de l’objectivité dépossède les journalistes de leurs corps, de leur humanité. Elle va jusqu’à s’inquiéter pour l’information, qui, dépossédée elle aussi de son humanité, se retrouve incomplète. Toujours au regard de son expérience personnelle, elle fait une comparaison avec les États-Unis, qui selon elle, ont pris un tournant opposé à la France. Les journalistes américains seraient plus enclins à être subjectifs dans leurs articles, et seraient a fortiori moins blâmés pour cela. Tandis qu’en France, on joue la politique de l’autruche : on ne voit pas ce qui est jugé politiquement incorrect.
On se demande à cette lecture, comme l’auteure elle-même a dû le faire, comment il puisse arriver qu’un Éric Zemmour appelle à la haine raciale à la télévision, qu’un Alain Finkielkraut s’insurge “Moi je dis aux hommes, violez les femmes ! D’ailleurs je viole la mienne tous les soirs” sur le plateau de LCI sans plus de problèmes que cela. Des polémiques ont éclaté certes, mais jamais assez permanentes et violentes pour les bannir de la télévision et aujourd’hui encore, le micro leur est tendu avec plaisir. Tandis que Rokhaya Diallo se fait couper la parole cinq fois en 33 secondes sur CNews, et qu’on ne compte plus les baisers, les caresses sans consentement, comme lorsque Jean-Michel Maire embrasse le sein d’une invitée sur le plateau de TPMP. C’est cela que met en évidence Le génie lesbien : les hommes peuvent tout dire car leur objectivité tant chérie est créée par et pour eux.
Le génie lesbien comme réponse
Le titre est volontairement provocateur. Il attise le regard et choque. Régulièrement incriminée pour incitation à la haine des hommes, de misandrie ou de “féminazisme”, Alice Coffin répond à ces allégations. Chaque argument attaquant le féminisme est contré avec grande efficacité. Le passage le plus marquant du livre dit : « Les productions des hommes sont le prolongement d’un système de domination. Elles sont le système. L’Art est une extension de l’imaginaire masculin. Ils ont déjà infesté mon esprit. Je me préserve en les évitant. Commençons ainsi. Plus tard ils pourront revenir. »
Cet extrait, bien qu’ultra-critiqué, porte la réponse. Ce n’est pas un appel à l’extinction de tout un genre – les hommes. C’est un système à la fois de rejet de la domination masculine et d’auto-défense face à la violence symbolique portée par certaines productions artistiques masculines. C’est cette réflexion, consciente ou non, qui a amené certaines personnes à ne pas aller voir le dernier film de Roman Polanski, réalisateur accusé de viol sur mineur à de multiples reprises, sorti le 13 novembre 2019. C’est aussi cette réflexion qui a poussé l’actrice Adèle Haenel à sortir de la salle lorsque les Césars ont remis le prix de meilleur réalisateur à ce même homme. Qualifiée constamment d’extrémiste, Alice Coffin inverse le rapport de force et démontre en quoi le féminisme dit « extrémiste » n’est qu’une réaction à la violence, physique, psychique, sociale et économique, que subissent les femmes. Et en quoi les termes « extrémisme » et « féminazie » ainsi que les phrases telles que « elle dessert sa cause », sont utilisés uniquement pour discréditer une femme féministe et lui rappeler sa place, « l’inférieure de l’homme ». Celle qui, maintenant qu’elle a tous les droits, celui d’avorter, celui de travailler, de voter, d’avoir un compte bancaire à son nom, se permet encore de contrer la parole de l’homme. « Que veulent-elles de plus ? » disent-ils. Toujours et simplement l’égalité. Et Alice Coffin explique dans ce livre comment elle compte s’emparer de cette égalité, puisqu’il faut aller la chercher.